Résumé du livre de Bernard Guenée

Bernard GUENEE, Entre l’Eglise et l’Etat quatre vies de prélats français à la fin du Moyen Age, Paris, Gallimard, 1987, 508 pages.

INTRODUCTION.

Biographie et Biographies.

Dès l’antiquité, il existe des biographies (dès le Vè siecle av. JC). Le biographe n’est pas un historien d’où la diversité des biographies. Elle s’adapte au thème que veut développer l’auteur, historique, poétique, philosophique ou romancier. Pour cela elle peut être statique, chronologique ou les deux à la fois.

Dans l’antiquité, si la biographie n’est pas l’histoire elle peut parfois s’en rapprocher. Le biographe chasse le détail, l’anecdote alors que l’historien raconte les événements et les actions des hommes. A noter que la diversité des biographies et leur abondance caractérise la période antique. Elle est aussi utilisée au début de la chrétienté. Pour aider au développement de la foi, la biographie se transforme en hagiographie.

Les souverains du moyen âge utilisent aussi la biographie. Tel Eginhard qui 10 ans après la mort de Charlemagne écrivit sa Vita Karoli. Puis la biographie se trouve à mi-chemin entre l’histoire et l’épopée, elle devait servir de modèle aux chevaliers au travers d’un homme modèle.

Au XIIIè siècle, la biographie se diversifie et devient un genre d’écriture encore plus complexe.

Au début du XIVè siècle, c’est la naissance du premier dictionnaire biographique. D’autres œuvres de ce type vont suivre.

A la fin du moyen âge, « en ces temps de tradition, de renaissance et de nouveauté », les biographies se multipliaient-elles ? Et, dans leur abondante diversité, les hommes étaient les hérauts de la foi et de la chevalerie, les sujets de l’histoire et de l’érudition, les enjeux de la poésie et de la vérité, les miroirs de la morale.

Sans faire un récit complet de la biographie dans tous les siècles, l’auteur nous amène en France au XIXè siècle. A l’époque romantique la biographie triomphait. A cette époque là « personne ne contestait que la biographie pût être un genre historique ». C’est à ce moment là que l’histoire abandonne l’étude unique d’un homme pour s’intéresser à un champ de vision plus large en matière historique (les hommes, le général, les institutions, les structures, les grands mouvements séculaires). C’est aussi dans cette période que triomphent les biographies romancées. « La biographie, si proche du roman et de la morale, était sans doute un genre littéraire. Pour les historiens, ce n’était qu’un genre mineur, non historique, voire antihistorique ».

Mais depuis dix ou vingt ans, un rapprochement s’effectue entre histoire et biographie. L’histoire veut se donner une vision, une image. Mais quelle biographie utiliser pour qu’elle ne dénature pas, n’altère pas la vérité historique. Du coup la biographie en pâti, l’exigence la paralyse.

L’auteur nous explique que l’idée d’écrire ces biographies lui est venue en 1983. Cette question simple au départ, lui paraît plus complexe lors de sa réalisation. Aussi veut-il se justifier sur son idée de départ et ce qu’il a voulu faire. Tout cela pour aider le lecteur à mieux situer son livre.

En 1983, l’auteur achevait « une année de cours d’agrégation sur l’Eglise à la fin du Moyen Age ». Pour faire sa seconde année, l’idée lui vint de poursuivre sur le même thème « à travers la vie de quelques personnes ». « L’histoire et la biographie m’apparaissaient comme deux voies complémentaires pour atteindre la même réalité. Le destin d’un homme pouvait aider à comprendre l’histoire d’un temps ».

Mais qui choisir et comment procéder soit :

  • L’enquête prosopographique, l’auteur n’a rien contre mais à son avis l’on travaille plus sur les carrières que les hommes.

  • Choisir quelques personnages de la période, ce qui induit une seule catégorie, « l’élite de ceux qui écrivent ». Mais l’historien utilise la documentation dont il dispose. Et même au Moyen Age tous ceux qui ont écrit n’étaient pas forcement illustres. Ils sont aussi influencés par leur milieu et leur temps.  »L’idée s’imposant alors de quelques biographies comparées ». Mais là aussi un choix s’imposait. Prendre plusieurs personnes d’une même période et d’un même milieu étaient possible.
  • Choisir quelques personnages de périodes différentes. L’auteur préférait « prendre quelques personnes du même milieu, quelques prélats, mais non pas du même temps ». Il décidait de prendre la vie de quatre prélats, ayant écrit, ayant servi l’Eglise et l’Etat, ayant vécu dans une certaine continuité historique. Ils ont vécu entre « l’apogée du règne de Saint Louis et le début des guerres d’Italie ».

C’est une sorte de chaîne historique au travers de la vie de Bernard Gui, de Gilles le Muisit, de Pierre d’Ailly et de Thomas Basin. C’est une étude basée sur la documentation existante et la chronologie. L’auteur a entretenu « des rapports » avec ses quatre prélats sans combler les vides historiques existants et en évitant de sombrer dans une certaine interférence relationnelle entre eux et lui.

Entre l’Eglise et l’Etat.

Le XIIIè siècle est la période de la « France conquérante ». De Louis IX à Charles 1er d’Anjou et à Philippe III le Hardi, les croisades et l’extension Française en font un siècle d’apogée. Il faut attendre la fin du XVè siècle pour revenir à nouveau avec Charles VIII à « une France conquérante ».

« Mais pendant les deux siècles qui séparent ces deux images, la France a connu tous les malheurs ». Comme des difficultés économiques, l’apparition de la famine, l’arrivée de la peste au XIVè siècle tuant peut-être un tiers de la population et enfin le début de la guerre de cent ans suivi de la guerre Franco-Bourguignone. Mais ces difficultés ont soudé la population qui souhaite un roi plus fort et c’est le « douloureux accouchement de l’Etat moderne ».

A la fin du XIVè siècle, les rapports avec l’église ont changé. En deux siècles on passe d’une église universelle à un église nationale. Un long cheminement où l’Etat s’appuie sur l’Eglise selon les périodes et inversement dans d’autres situations. Le grand schisme de 1378 pendant quarante ans abouti à une unité retrouvée mais à une Eglise ayant perdu son autorité dans un monde temporel. Les Papes doivent s’accommoder à cette évolution. Le concordat de Bologne en 1516 confirme le courant gallican et le roi peut contrôler l’Eglise de son royaume. Les quatre prélats ont vécus dans cette période difficile et incertaine, « et dans l’Eglise et dans l’Etat, entre l’Eglise et l’Etat ».

Quatre prélats Français

Ces quatre prélats « forment en quelque sorte la chaîne et couvrent toute la période que je viens de définir » : Bernard Gui né en 1261 mort en 1331, Gilles le Muisit né en 1272 mort en 1353, Pierre d’Ailly né en 1357 mort en 1420, Thomas Basin né en 1412 mort en 1490.

S’ils sont tous nés dans le royaume de France leur origines géographiques sont différentes. Chacun reste attaché à ses origines géographique et à la diversité du royaume de France à ce moment là. « Leurs vies terrestres » sont attachées à plus ou moins de succès. Certain réussissent, d’autre beaucoup moins et pour Thomas Basin ce fut un échec.

L’auteur accorde plus d’importance au rôle des deux derniers prélats considérant que les deux premiers ont été des « acteurs plus modestes et des témoins plus discrets ». S’ils ont des différences, leurs points communs à tous les quatre, « leur naissance n’imposait pas leur destin ».

La naissance

L’auteur au travers d’exemples précis montre la différence d’ascension sociale entre un enfant de la haute aristocratie et un enfant issu de la petite noblesse ou de la bourgeoisie aisée. Les quatre prélats n’ont pas « leur prélature dans leur berceau ». Malgré ça ils feront carrière. Contrairement à certaines affirmations la société médiévale n’est pas immobile. Si elle rêve de stabilité autour d’une « hiérarchie fondée sur la naissance » la mobilité et le désir de progresser dans la hiérarchie sont une réalité. D’origine modeste les quatre prélats, grâce à l’ambition, sont devenus des « hommes d’autorité ».

L’ambition

L’auteur nous cite deux cas de personnes d’origine modeste, au XIVè siècle Nicolas de Toulon et au XVè siècle Jean Balue, qui grâce à leur ambition réussissent à progresser dans la hiérarchie ecclésiastique.

Il explique comment en cette période les sept péchés capitaux « devinrent bientôt une des clés fondamentale par quoi les hommes expliquaient leurs méfaits et leurs malheurs ». Mais le temps fit évoluer le classement dans les sept péchés capitaux que sont l’orgueil, la cupidité, la luxure, la colère, la gourmandise, l’envie et la paresse. Le XIIè siècle est caractérisé par l’orgueil des puissants. Vers le XIIIè siècle apparaît la cupidité des marchands. Puis fin XIIIè, XIVè et XVè siècles se multiplient les révoltes. C’est pour les clercs l’apparition de l’ambition. Elle est connue de l’Eglise mais celle ci n’en fait pas un péché capital. Le développement de l’Etat et le service de l’Eglise lui permet de se développer. Certain voyant dans cette situation la bonne et la mauvaise ambition. « L’ambition en soi n’est pas condamnable. Mais il est condamnable d’être poussé par trop d’ambition ». Ce qui est condamnable si l’ambitieux parvient à ses fins il devient orgueilleux.

Les quatre prélats ont eu de l’ambition mais « la leur était bonne ». Leurs talents et leurs mérites la justifie assez.

Le savoir et le talent

L’ambition devient légitime si le savoir suit. Pour cela la voie normale, au moyen âge, est l’université. Les historiens considèrent l’université au XIIIè siècle comme compétente mais ils ont longtemps douté de ses compétences au XIVè et XVè siècle.

Aujourd’hui ce jugement est à réviser. L’exemple de Paris au XIVè siècle le montre, l’enseignement est de qualité à la faculté des arts et à la faculté de théologie. A la fin du XVè siècle dans toutes les universités du royaume, il est formé plus de licencié « qu’un siècle plus tôt ».

Une interrogation demeure sur le recrutement des étudiants. Même si les études coûtent chers, « le recrutement social des universités est resté largement ouvert ». Des fils de pauvres étudient à l’université. Mais par quelle voie sont-ils arrivés, c’est pour l’instant une inconnue. Pour l’auteur, la volonté d’apprendre des jeunes et leur dons sont des éléments à prendre en compte.

A l’obtention du diplôme, les étudiants sont classés. Ce classement joue un rôle important pour leur carrière future. Le jeune étudiant doit avoir des qualités. La mémoire et l’ardeur au travail, l’aident à acquérir une « vaste culture ». Les exercices sont oraux et donc le talent oratoire est important surtout au XIVè siècle.

Les villes, les prince et les rois disposent à l’université d’un vivier pour leur futurs cadres. « Ils travaillent à s’en attacher les meilleurs éléments ». L’université donnait le savoir et révélait le talent, c’est la pépinière ou se forment les serviteurs de l’Eglise et de l’Etat.

Parents et amis

« Les puissants avaient besoin de bons élèves. Mais les bon élèves avaient besoin des puissants ». Cette phrase illustre bien le dilemme de cette époque. Etre un bon élève, faire des études et les réussir ne suffit pas. Il faut avoir des relations ou s’en faire.

En premier lieu s’appuyer sur la famille si elle est bien placée. Le cas de Nicolas de Besse, neveu du Pape Clément VI est significatif. Le nespotisme ne s’applique pas qu’au pape. C’est une pratique courante chez les rois, les princes, les évêques ou toute personne assumant une responsabilité. Le rôle des cardinaux est mis en exergue pour leur pratique du nespotisme. Pierre d’Ailly et Thomas Basin en ont bénéficié. Si les familles des quatre prélats purent payer les études, ils durent se trouver des appuies pour leur carrière.

Au XIVè siècle l’imbrication entre l’Eglise et l’Etat est telle, que les prétendants à une carrière doivent avoir le soutien des clercs et des laïcs. Les réseaux de sociabilité, d’amitié ont aussi joués un grand rôle. C’est le cas de l’équipe des « Marmousets » autour de Charles VI. L’université de Paris fut aussi un groupe de pression où les amitiés contractées pouvaient aider pour sa future carrière.

La « compétence et l’habilité politique » étaient nécessaires pour une « belle carrière ». Les rois Charles VII et Louis XI ont permis des succès aux jeunes brillants et ambitieux. Ils étaient source « unique de tout succès ». Louis XI poussant sa sollicitude jusqu’à se considérer comme le père de ces jeunes.

Le zèle et l’obéissance

Le XVè siècle est celui de l’obéissance. A savoir « obéir et servir », « servir et obéir ». Mais cette construction du sentiment d’obéissance a mis du temps à se construire au moyen âge. Si un sentiment de soumission a traversé cette période « la société féodale était par essence une société contractuelle ». L’obéissance s’est réellement développée au départ dans les milieux ecclésiastiques. C’était une garanti d’unité, « un adhésion volontaire ». Elle va largement influencer les milieux laïcs. Même si certain tentent de s’y opposer, le roi va réussir à s’imposer. Cette obéissance n’apparaît pas comme une servitude, « c’est une preuve de liberté ».

En période d’accord entre l’Eglise et l’Etat, entre le Pape et le roi c’était chose facile. Mais en cas de désaccord, les sujets étaient partagés en proie au doute. Au XIVè et XVè siècles si l’obéissance paraît nécessaire, elle se heurte au « réseau de fidélité multiple » qui complique sa mise en pratique. Mais la fidélité, l’obéissance totale au souverain va s’imposer à la fin du Xvè siècle. Le jeune ambitieux le sait. Le ciment de l’unité Française se met en place au travers de l’obéissance du souverain.

La crainte et la peur

Après l’obéissance, la crainte et la peur sont deux autres caractéristiques de la société médiévale. « Dans l’antiquité classique » la peur était définie par de nombreux mots. Trois sont retenus par l’auteur :

  • pavor est une peur violent, panique issue du populaire et assez grossier,
  • metus et timor sont utilisés dans la « langue littéraire la plus convenable ». Timor est employé dans la vulgate, metus pour sa part désigne la peur dans les textes juridique désignant « une peur justifiée, une peur légitime ».

Au départ le moyen âge ignore ces nuances. Mais l’essor de la culture, la réapparition des droits romain, le développement du droit canon réintègrent ces différentes notions de peur. Dès le XIIIè siècle on distingue les « mauvaises et les bonnes peurs ». L’idée se répand de la nécessité de la crainte et en particulier de la crainte de Dieu. Le roi étant l’image de Dieu à la fin du moyen âge, un transfert s’opère, le roi est craint et c’est le début de la sagesse politique pour tous. Dans ces temps troublés, la peur devient même un argument juridique largement reconnu par les tribunaux. Elle peut justifier l’attitude d’un individu dans la vie de tout les jours. La fuite à l’occasion de peur est largement admise.

L’Antiquité et l’Eglise glorifient les martyres, cette notion est transférée à l’idée de la défense de la patrie. Mais les princes et l’Eglise n’en ont pas abusé.

Cette période de XIVè et XVè siècle se caractérise par un mélange de crainte, de peur, d’absence et de « fuite à temps ».

L’âge et l’expérience

L’âge et l’expérience sont deux conditions essentielles pour celui qui veut faire carrière au moyen âge. L’auteur cite le cas de Jean de la Goutte qui a fait « une belle carrière » mais pour cela a vécu plus de 85 ans.

Cette idée s’oppose au médiévistes qui considèrent que la société était jeune et dominée par des jeunes. Mais l’espérance de vie au moyen âge est un chose et la durée de vie pour certain en est une autre. Le pourcentage de personnes âgées n’est pas négligeable dans cette période. Même si l’ensemble de la population ne connaît pas son âge, à partir du XIIIè siècle se développe le « souci du nombre exact ».

Reste le classement des tranches d’âges variant selon les différents auteurs comme Isidore de Séville, Philippe de Novare, Cicéron, Saint Thomas ou Dante. Leur objectif est de définir l’âge de la jeunesse et de la vieillesse avec comme corollaire l’efficacité, la sagesse et la sénilité. Ce classement est utilisé dans le fonctionnement des rouages de l’Etat pour un maximum d’efficacité. « Entre un jeune quadragénaire et un vieux quinquagénaire le prince pouvait hésiter ». C’est dans ces deux tranches d’âge que se situe le véritable conflit de générations. Même le fils d’une famille aisée, entré jeune au service du roi, doit attendre la quarantaine pour aspirer à un poste de responsabilité. La vieillesse est mesurée par ce que’on appelle le « test du cheval ». Celui qui ne peut plus monter à cheval, ne peut plus servir son prince et est donc en situation de retraitable. « La société politique, du moins en France, du moins à la fin du moyen âge, n’est donc pas un monde de jeunes dominé par des jeunes ». Au contraire, les serviteurs du roi sont issus de différents milieux sociaux où « le poids de la naissance n’empêche pas l’ascension du talent ». Les « vieux » écartés de leurs fonctions politiques peuvent se consacrer à l’écriture. Ils sont souvent les témoins de leur temps. L’auteur prend pour exemple ces quatre prélats qui traversent deux siècles d’histoire.

Pour terminer sa conclusion, l’auteur explique l’opposition entre l’histoire statistique et l’histoire narrative. Il veut tenter de les réconcilier.

BERNARD GUI (1261-1331)

Naissance

L’auteur présente le XIIIè siècle, celui où naquit Bernard Gui. C’est la fin des Etats latins d’Orient et la reconquête par les Grecs, au détriment des latins, de Constantinople. La Chrétienté latine est réduite à la partie ouest de l’Europe. C’est aussi l’échec de l’empire, objet d’affrontement entre le pape et Frédéric II. Il y a aussi l’apparition de l’hérésie cathare menaçant l’Eglise dans le midi de la France. Le pape voit son autorité contesté en Italie. Au XIIIè siècle, l’Occident lance des croisades entre les infidèles et les hérétiques, et rêve « d’union avec les orthodoxes ». Projets coûteux et obsédants qui traversent le siècle. Des contradictions et des oppositions apparaissent. L’ordre séculier soucieux de ses prérogatives s’oppose aux ordres réguliers. La création d’ordres mendiants, dominicains et franciscains, dépendants directement du pape rajoute à cette situation officielle. D’autant que ces deux ordres se disputent pour élargir leurs zones d’influences.

En 1261, année de naissance de Bernard Gui, le roi Louis IX assis son autorité sur son royaume. « La France vivait sous lui un temps dont les générations de Français allaient, après, faire un âge d’or ». Une difficulté apparaît entre la France du nord et celle du midi. Les langues, coutumes et mentalités sont différentes. Le Nord triomphe lors de la croisade qui écrase les cathares et il s’impose dans un midi ruiné et humilié. L’ordre des Prêcheurs (dominicains) est né dans le midi. La province dominicaine de Provence s’étend de Bordeaux à Nice et de Limoges à Perpignan. Ils s’engagent dans une triple fidélité, « à l’Eglise romaine, au roi de France et à leur midi ». C’est dans la diocèse de Limoges qu’est né Bernard Gui.

Dominicain : élève, lecteur, prieur (1270-1307)

C’est à cette période qu’apparaît le surnom pour distingué les personnes portant le même nom. La famille dont est issu Bernard Gui, Gui de Royère « était modeste et obscure ». Sur sa famille nous ne savons pratiquement rien. La seule certitude est que la mère de Bernard de Gui avait un frère qui était prêtre : Bernard Auterii. Il aimait son neveu et il eut certainement une influence sur son destin. Personne ne connaît la date exacte de la naissance de Bernard Gui, ni la date de sa tonsure. A cette époque peu de gens le savait. Souvent l’estimation de l’âge variait entre un et cinq ans. La seule date précise connu fut « lorsqu’il avait pris l’habit », le 16 septembre 1280.

On ne sait où le jeune Bernard avait acquis son « instruction rudimentaire ». Mais il fut choisit par l’ordre pour poursuivre ses études. Les critères de sélection étaient une solide santé, des capacités intellectuelles et d’avoir la parole aisée lui permettant par la suite d’enseigner et de prêcher.

Bernard Gui étudia donc la logique à Limoges en 1280-1281. « Il suivit son maître à Figeac en 1281-1282″. L’organisation de ces études ce faisait de la façon suivante : la province de Provence était découpée en vicairies avec chacune « une demi-douzaine de couvents ». Chaque vicairie disposait d’une école de logique qui tournait annuellement dans chaque couvent. A la fin de ces deux années d’études, la moitié des étudiants en logique avaient la capacité pour poursuivre l’enseignement en philosophie. « Il y avait une école de philosophie pour deux vicairies » qui tournait annuellement dans chaque couvent.

Bernard Gui se retrouva à Bordeaux (1282-1283) en s’éloignant de Limoges. Il appris Aristote à travers les commentaires qu’en faisaient Albert et Thomas. L’Occident du XIIIè siècle venait de découvrir Aristote par les « traductions latines qui en avaient été faites ». Cet enseignement s’intégra rapidement dans la formation dominicaine car elle « semblait apte à préparer les esprits aux vérités chrétiennes ».

A l’issue de sa formation en philosophie, il enseigna pour la première fois la logique. Puis en 1285, « il commençait l’étude de la théologie », troisième étape de sa formation. Chaque couvent avait un enseignement de théologie par l’intermédiaire d’un lecteur. Tous les frères devaient suivre ces cours. Bernard Gui revint a limoges où avec de « bons maîtres et une bonne bibliothèque » il approfondit la Bible et les Sentences (œuvre de Pierre Lombard sur la théologie de son temps).

Bernard Gui se rendit ensuite au studium generale que l’ordre avait à Montpellier. Il suivit cette formation de 1289 à 1291. Elle était destinée à former des jeunes frères devant occuper des responsabilités. « Comme il ne se révéla pas assez bon théologien pour être envoyer à Paris, ses études s’arrêtèrent là ». En 1291, à trente ans, il put devenir prieur ou lecteur, organisateur et pilier garant de la « solidité de l’ordre ».

Chaque couvent avait un prieur à sa tête, l’administrateur, et un lecteur qui enseignait la théologie à chaque frère. Si le couvent était modeste, la même personne faisait les deux. Dans les couvents les plus importants, « le lecteur était aidé par un jeune sous-lecteur ». A l’issue de ses études, après une dizaine d’années dans l’ordre, le jeune frère d’une trentaine d’années devenait sous-lecteur ou lecteur d’un petit couvent. Après quelques années d’expérience entre trente-cinq et quarante ans, il obtenait son premier priorat. Nous connaissons « ce petit monde des prieurs et des lecteurs des couvents dominicains de la France méridionale au XIIIè siècle » grâce aux travaux de Bertrand Gui réalisés quelques temps plus tard.

Dans cette étude, Bertrand Gui ne fait pas l’éloge de tous ses frères. « Il le fait lorsque leurs vertus ont été éclatantes ou qu’il les a personnellement connus et estimés ». Le dominicain doit être  » un homme de bien, vertueux et dévot, instruit et sage, toujours actif, toujours prêt à prêcher la parole de Dieu, et surtout toujours aimable et gai ». La réalité est toute autre, certains préfèrent le priorat et d’autres le lectorat. L’auteur prend l’exemple de Ytier de Compreignac qui désira toute sa vie se consacrer a l’enseignement à Limoges. Peu de prieurs ou lecteurs étaient appelés à d’autres fonctions « comme celle de prieur provincial ou comme celle d’inquisiteur ». Le rêve de tous les frères étaient de mourir en prêchant ce fut le cas de Ytier de Compreignac ou Pierre Copelli. Les plus âges, entre soixante et soixante-dix ans, se retiraient dans un couvent de l’ordre ou ils mouraient « dans une heureuse vieillesse ».

Bernard Gui suit la progression voulue par l’ordre, sous-lecteur à Limoges en 1291, lecteur à Albi de 1292-1294 puis prieur d’Albi assez jeune à trente-deux ou trente-trois ans. Il resta onze ans dans la même région avant de revenir à Limoges en 1305. Il préféra l’administration à l’enseignement.

En 1303, l’ordre des prêcheurs scinda en deux la province de Provence, avec une partie occidentale et une partie orientale. C’est dans cette période que survint le conflit opposant le pape Boniface VIII et le roi de France Philippe le Bel (opposition sur le caractère temporal de la papauté dans toute la chrétienté). Les prélats du nord soutenaient le souverain, ceux du midi étaient troublés de ne pouvoir  » concilier leurs deux fidélités ».

Bernard Gui, prieur de Castres, connu les graves troubles qu’agitèrent Albi et Carcassonne en 1302 et en 1303. Le roi lui-même vint dans le midi « pour rétablir l’ordre et mettre au pas les trop fidèles alliés du pape. Les maladresses des Franciscains et des bourgeois, le décès de Boniface VIII et l’arrivée d’un successeur cherchant l’apaisement amenèrent le roi a changer de position. Pour rétablir l’ordre il s’appuya sur les Dominicains et l’inquisition. Lorsqu’il quitta Castres en 1305, l’ordre était rétabli. Bernard Gui pouvait à nouveau accorder les fidélités, un instant inconciliable, à son pape, à son roi, à son ordre et à son midi. C’est à cette époque qu’il découvre l’histoire et qu’il se passionne, il n’avait que trente cinq ans. C’est autour de l’abbaye Saint Martial que se cultive l’histoire. Bernard Gui aide au développement de la bibliothèque et à l’écriture d’une chronique. Celle-ci fut poursuivit tout au long du XIIIè siècle.

Le couvent dominicain de Limoges avec Gérard de Frachet qui écrivit Annales de l’ordre dominicain (1254) et Vie des frères de l’ordre des prêcheurs (1260). Etienne de Salanhac, lui aussi de Limoges, se lança dans « une grande composition historique » à la gloire de l’ordre dominicain. Bernard Gui prend connaissance des écrits de ces deux historiens en 1304. Il décide de terminer le « traité inachevé de Salanhac  » en le complétant. Le Maître de l’ordre le sut et l’encouragea. « Et dès le 22 décembre 1304 le premier prieur de Castres lui envoyait le plus beau corpus historique qui eût encore été écrit sur l’ordre dominicain ».

Dominicain, inquisiteur et historien (1307-1316)

 » Quelques mois plus tard, Bernard Gui était prieur de Limoges ». A Limoges il affirma son goût des livres en faisant construire une bibliothèque, la première dans un couvent dominicain de la province de Toulouse. Est-ce le passage du pape Clément V à Limoges le 23 avril 1306 qui en fut la conséquence ? « Toujours est-il que, le 16 janvier 1307, Bernard Gui devenait inquisiteur de Toulouse ». Il poursuivit une triple activité, être « un dominicain fidèle, inquisiteur consciencieux et historien fébrile ».

C’est dans cette période (1307-1316) qu’il fut le plus actif et le plus fructueux. « Ainsi voit-on pendant dix ans, Bernard Gui se rendre aux chapitres de sa province dominicaine. De même il multiplie les lettres qu’exigent sa fonction inquisitoriale et qu’il tient, de 1308 à 1316, neuf sermons au cours desquels il rend cinq cent trente sentences. De même que sa production historique est intense ». Dès 1306, il décida d’écrire « une grande chronique universelle depuis Jésus-Christ à son temps. Et c’est le 1er mai 1316 qu’il la termina et l’envoya au maître général de son ordre se qu’il appela ses fleurs de chroniques.

Dans l’ensemble de sa province, sa production historique fut recopiée et enrichit ainsi les différents couvents. Il ne manquait pas lors de ses déplacements de les relire et éventuellement les compléter. « Ainsi, en 1316, à cinquante-cinq ans, au sommet de ses moyens, Bernard Gui conciliait-il sans efforts ses vœux de dominicain, son zèle d’inquisiteur et sa passion d’historien lorsque son destin pris un nouveau tournant ».

Procureur général de l’ordre dominicain (1316-1320)

Est ce l’inquisiteur ou l’historien que le maître général Béranger de Landorre distingua par cette nomination ? Bernard Gui se retrouva à la cour pontificale en 1316, « au centre du monde occidental, au moment même ou les plus lourdes menaces s’y accumulaient ». Tout d’abord l’affrontement entre le royaume de France et la Flandre. Les problèmes de succession dynastique après le décès de Louis X. Dans cette période, la succession de Clément V demandera plus de deux ans. « De guerre lasse, les cardinaux avaient élu le 7 août 1316 le cardinal-évêque de Porto, Jacques Duèse, qui prit le nom de Jean XXII ». Malgré son âge (soixante-douze ans) il assura un long pontificat de dix-huit ans. « Il conserva jusqu’au bout sa santé inébranlable, sa vivacité d’esprit, sa puissance de travail. Les cardinaux avaient en fait donné à l’Eglise la tête solide et la main ferme donc elle avait besoin ». Au niveau doctrinaire, il mesura le danger que faisait courir « à ce moment là à l’Eglise, l’idéal de pauvreté ».

En effet, depuis le XIIIè siècle, l’ordre des Franciscains était divisé sur cette question avec les « conventuels » acceptant l’ordre tel qu’il était et les « spirituels » qui souhaitaient une pauvreté absolue « qu’avait rêvé François ». « D’autre part, en 1274, au concile de Lyon, l’Eglise avait supprimé un grand nombre de petits ordres mendiants dont la pauvreté était l’idéal. Elle voyait en leur prolifération un danger de désordre et d’hérésie ». L’abdication de Célestin V en 1294, « laissa désemparés tous ceux qui rêvaient d’une Eglise pauvre ». L’élection de Pierre de Motone, moine ermite, avait suscité beaucoup d’espoir pour les partisans de la pauvreté absolue. Les Franciscains spirituels accusèrent Boniface VIII, son successeur d’avoir évincé son prédécesseur. « Une Eglise dépouillée de ses richesses répondait certes à des aspirations religieuses ; elle comblait aussi d’évidents appétits politique. Et de pieux princes commencèrent à rêver d’une Eglise pauvre ».

Le roi de France favorisa la création de couvents de « Célestin » et « Philippe le Bel obtient enfin de Clément V » en 1313, « la canonisation sinon de Célestin V, du moins de Pierre de Morrone, qui avait su resté pauvre même sur le trône pontificale ». Louis de Bavière, roi des Romains contesté depuis 1314 « en butte à l’hostilité du pape », « allait accueillir à sa cour des Franciscains spirituels » avec son théoricien de la pauvreté « qu’était Marsile de Padoue ».

« Ainsi au lendemain de son élection, Jean XXII avait-il beaucoup à faire sur un plan administratif, sur le plan politique et sur le plan doctrinal. Il lui fallait asseoir la situation italienne, toujours inextricable ; régler le problème impérial ; apaiser le différent Franco-Flamand. Il lui fallait surtout combattre les doctrines nouvelles et dangereuses ».

Pour cela il mit en avant « l’œuvre de Thomas d’Aquin », le grand penseur dominicain disparut en 1274 et proclamer la sainteté lui parut la meilleure voix pour rétablir la vérité de son œuvre. « Enfin, et peut-être surtout, pour justifier une Eglise que l’idéal de pauvreté évangélique menaçait désormais dans son existence même, le remarquable administrateur que fut Jean XXII se devait de prouver que, sinon la richesse du moins la propriété était légitime ; que le Christ et ses disciples eux même avaient possédé quelque chose ; et que d’ailleurs l’essentiel n’était pas la pauvreté mais la charité ».

Jean XXII s’entoura d’hommes compétents et dévoués comme Bertrand de la Tour, docteur en théologie et franciscain, il remis « l’ordre des franciscains dans le droit chemin » ; Guillaume de Pierre Godin, théologien personnel de Clément V et le resta sous le pontificat de Jean XXII. Celui-ci avait dans sa « maison » un vieux dominicain de soixante seize ans, Barthélémy de Lucques. Celui-ci avait été un élève de Thomas d’Aquin. Il rédigea une grande Historia ecclesiastica nova en 1316, incluant une « bibliographie de Thomas qui était la première jamais écrite ». Le pape le sollicita pour « consacrer ses dernières forces au procès de canonisation ».

Bernard Gui rencontra ces personnes de l’entourage du pontif. Le pape lui confia avec Bertrand de la Tour la  » lourde mission de rétablir la paix en Italie du nord et en Toscane ». Entre avril 1317 et le printemps 1318 ils parcoururent l’Italie. Lors de leur retour l’échec est évident. Bernard Gui poursuivit son œuvre d’historien est offrit au pape en 1318 « la seconde édition de ses Fleurs de chroniques », Jean XXII y fut sensible. Pour régler le problème italien, le pape trouva et envoya un légat plus efficace : Bertrand du Pouget. En septembre 1318, le pape confia une nouvelle mission à Bertrand de la Tour et à Bernard Gui, « tenter de parvenir enfin, entre le roi de France et le conté de Flandres, à la paix ». Les négociations ne donnèrent rien car les intervenants s’exprimèrent dans des langues différentes et ne purent se comprendre. « Aucun des deux hommes n’était un diplomate ».

Bernard Gui participa au procès de canonisation en écrivant une vie de Thomas d’Aquin en 1318 et un « nouveau catalogue des œuvres de Thomas » en 1320. Il participa à la cérémonie du canonisation du 18 juillet 1323.

Dès 1309, il retourna à Toulouse pour reprendre ses fonctions d’inquisiteur. « A la fin 1320, en tout cas, il n’était plus procureur à la cour pontificale. Il restait uniquement inquisiteur de Toulouse ». En 1323, Jean XXII le nomma évêque de Tuy en Galice. « Il n’est pas sûr du tout que cette nomination enchanta Bernard Gui ». Ses séjours dans son diocèse furent bref. Pendant ces années là, il écrivit son Manuel de l’inquisiteur. Mais aussi il poursuivit l’achèvement de ses fleurs des chroniques. A la demande du maître général de l’ordre dominicain, il poursuivit la rédaction de l’œuvre des saints dans l’esprit du dominicain Jacques de Voragine et sa Légende des saints. Le 20 août 1324, il offrait à Jean XXII les deux premières parties de son Miroir des saints. « Le pape le transférait du siège de Tuy au siège de Lodève ». Il revenait ainsi dans la France méridionale.

Portrait de Bernard Gui

Bernard Gui dans la hiérarchie ecclésiastique demeura un prélat. L’Eglise avait récompensé le « zèle de l’inquisiteur », le « talent de l’historien » et surtout « un de ces hommes aux convictions solides dont elle avait, en une époque si troublée, tant besoin ». « Car le roc inébranlable sur lequel reposaient les certitudes de Bernard Gui, c’était cette idée simple que, dans toute société en général et dans l’Eglise en particulier, il y avait les supérieurs et les inférieurs, il y avait les hommes auxquels leur office donnait de l’autorité, et ceux qui leur étaient soumis ; ou, pour mieux dire encore, toute société en général et l’Eglise en particulier était une longue chaîne, une hiérarchie d’autorités ». Toute sa vie  » Bernard Gui fut un mystique de l’obéissance ». « Et tout au long de sa longue vie, jamais le moindre trouble n’avait ébranlé sa solidité ».

Même les conflits entre Philippe le Bel et Boniface VIII ne le troublèrent pas. Ces œuvres il les offrait en toute humilité à ses supérieurs. « La certitude d’être, par l’obéissance, dans la vérité, soutenait l’historien ». Il était un « exécutant idéal *, le rouage parfait d’une hiérarchie ». Mais il n’était pas prêt à comprendre les « brebis égarées, ou même simplement troublées ». Il condamna avec la plus grande fermeté toutes les hérésies en tant qu’inquisiteur. « Le respect des autorités suffisait au chrétien et à l’inquisiteur. Il dominait la démarche de l’historien. Mais il n’était pas son guide exclusif. Car l’historien qui était en Bernard Gui cherchait passionnément, comme tout historien, la vérité. Et, comme tout historien, il attendait la vérité de ses autorités ». Malgré son érudition il resta fidèle à ses convictions et à sa démarche. Ainsi, il resta « pour ses supérieurs, un homme sûr ». « La passion de l’érudition ne l’empêcha certes pas d’être un prieur efficace et un inquisiteur consciencieux ».

Bernard Gui se « méfiait des phrases » ce qui donna des œuvres brèves. « Et puis Bernard Gui n’eut vraiment aucun goût à jouer un rôle sur le grand théâtre du monde. Homme d’action ou érudit, il n’était assuré que dans son cadre familier. Son plus large pays, c’était entre Limoges, Bordeaux et Carcassonne, dont les chemins, toutes les villes et tous les couvents lui étaient intimement connus ». Il connaissait l’histoire du royaume mais à part son incursion au nord de la Loire,  » le royaume resta ce qu’il avait été : une idée chère et lointaine ». Il fut de même pour le reste de l’occident avec ses deux expériences négatives l’Italie et de l’Espagne.

Il ne chercha jamais l’appui d’un prince ou d’un cardinal malgré ses connaissances et ses rencontres. « Bernard Gui ne voulut donc pas, ou ne sut pas, ou ne put pas jouer des solidarités qui l’eussent poussé plus haut ». Par contre, ayant eu un bon oncle, il en fit de même avec ses quatre neveux Aimeci Hugues, Gui Gui, Pierre Gui et Bernard Gui son filleul. Il les encouragea à étudier, leur donna plus tard ses livres et dès qu’il put leur obtint des bénéfices. Ces trois premiers neveux furent des gens de l’Eglise. Quand à son filleul, il fut chevalier, « premier ancêtre connu d’une famille de petite noblesse limousine ». « Bernard Gui ne fut pas un homme de très grande autorité, mais il eut assez d’autorité pour être un bon oncle ».

Evêque de Lodève (1324-1331)

« Lorsque, le 7 octobre 1324, Bernard Gui fit son entrée solennelle à Lodève, le diocèse était calme, le midi était calme ». Le phénomène des « Pastoreaux » quelques années auparavant n’avait pas atteint Lodève. Seul quelques Béguins, qui avaient « douté et titubé » avaient secoué Lodève. « Le diocèse de Lodève était un petit diocèse de soixante et une paroisses. C’était un pauvre diocèse en partie montagneux ».

Bernard Gui loin d’y prendre sa retraite s’activa et assuma jusqu’au bout son ministère. « Les preuves abondent qu’il mit tout son zèle à bien administrer son diocèse, à assumer son autorité de prélat, à défendre ses droits de seigneur temporel ».

Il poursuivit sa tâche d’écrivain en suivant les événements du royaume par les échos arrivant dans son diocèse.

Il mourut en 1331 à soixante dix ou soixante onze ans dans sa cinquante deuxième année de son entrée dans l’ordre des Prêcheurs. « La piété de ses neveux, l’admiration de certains clercs voulurent voir en lui un saint, espérèrent peut-être le porter, comme Thomas d’Aquin, sur les autels. Le bruit courut de quelques miracles ».

« Mais c’était une vision trop banale. C’était de trop petits miracles. Et l’histoire n’était pas la théologie. Et Bernard n’était pas Thomas ». Il fut inhumé « près du grand autel, dans le chœur de l’église des Prêcheurs de Limoges, où il attend avec les justes la bienheureuse résurrection ».

Gilles le muisit (1272 – 1353).

Les premières années (1272 – 1289)

Tournai au XIIè siècle avait une particularité. Cette ville située en plein cœur des Flandres, à proximité de l’Empire, était une « sorte de république municipale ». Philippe Auguste en 1188 avait donné aux bourgeois de la ville « une charte de commune ». C’était à la fois une capitale économique, religieuse car « un évêque y résidait depuis 1146″, intellectuelle et artistique. « Prise entre la Flandre, dans le royaume, et le Hainaut, dans l’Empire, elle avait autant besoin du roi pour survivre que le roi avait besoin d’elle pour affirmer sa présence en France et dans l’Empire ». Le roi protégea la ville et « les évêques de Tournai secondaires toujours la politique royale ».

Autre particularité, à proximité de la ville de Tournai se trouvait le monastère de Saint Martin. C’était une ancienne fondation datant de la fin du XIè siècle. A la fin du XIII è siècle cette maison bénédictine était une des plus peuplée d’Occident juste après le Mont Cassin. Il comptait soixante huit religieux.  » C’est là que, le jour de la Toussaint, le 2 novembre 1289, Gilles le Muisit prit la vie ». Grâce à ses qualités d’administrateur, il gravit les différents échelons de la hiérarchie monastique pour être élu Abbé à l’unanimité le 30 avril 1331.

« Confirmé non sans difficulté par le pape Jean XXII, enfin bénit le 25 octobre 1332, il prit alors possession de son abbaye et son abbatiat n’eut de remarquable que le soin qu’il mit en gérer le temporel, et à écrire ses comptes ».

De la jeunesse à la vieillesse et à la cécité (1289 –1346)

La famille le Muisit était une famille abondante, honorablement connue à Tournai depuis la première moitié du XIIIè siècle. Un siècle plus tard, mis à part quelques destins plus exceptionnels, les le Muisit étaient encore de bons bourgeois de Tournai, point trop riche, point trop pauvre vivants de leur travail’ ».

« Jean le Muisit, le père de Gilles était de ceux là ». Il eut « assez de moyens pour donner à Gilles une solide instruction. A Tournai d’abord. Puis à Paris peut-être ».

La famille le Muisit eut six enfants qui parvinrent à l’âge adulte, quatre filles et deux fils. Son frère « Ernoul fut lui aussi d’Eglise, mais il ne fut qu’un modeste chapelain à Notre-Dame de Tournai et ne dépassa guerre la cinquantaine ». Gilles étudia pendant un temps, les arts. Il n’alla même pas jusqu’à la licence. A plus forte raison ne fréquenta-t-il ni la faculté de théologie ni la faculté de droit canon ». « Il respecta toujours à distance les grands théologiens ».

Il lut beaucoup et la bibliothèque du monastère était fort pourvue d’ouvrages. Son goût pour l’administration l’amena à s’intéresser à la « mathématique et aux mathématiciens », ainsi qu’à l’astronomie. « Ses goûts littéraire le montrait plus lié encore, peut-être, à un monde laïc dont les murs de son abbaye ne le séparait guère ». Au delà des lectures nécessités par ses fonctions, « la vraie passion de cet esprit rebelle aux textes scolaire, ce fut la poésie française ». « Les poètes que Gilles le Muisit lisait et aimé étaient ceux dont la langue lui était plus familière et dont les œuvres avaient pu atteindre Tournai. C’était d’abord le reclus de Molliens, qui avait écrit dans le premier tiers du XIIIè siècle, et le Roman de la Rose, qui Guillaume de Lorris avait commencé dans ce premier tiers du XIIIè siècle et que Jean Clopinel, de Meung-sur-Loire, avait démesurément continué vers 1277″.

Il s ‘attacha à se procurer le Dit du Roi de Sicile, racontant les hauts fait accomplis en Italie par Charles d’Anjou. Un de ses oncles au coté du prince lui avait raconté « quelques moments de la campagne ». Il enrichi ses connaissances avec les œuvres de Philippe de Vitry et de Guillaume de Machaut. « Il aima aussi les poèmes des deux modestes trouvères hennuyers que furent Jean de la Mote et Colin Aubert. De même fut il un des rares à apprécier les vers du franciscains Tournaisien Jean Bochet ».

« Notre bénédictin aimait ces œuvres pour les plaisirs esthétiques qu’il en tirait, mais surtout pour les enseignements moraux quelles donnaient ». « Sa morale n’était pas intemporelle. Elle n’empêchait pas, elle se nourrissait même d’une curiosité passionnée pour tout ce qui se passait autours de lui. Gilles le Muisit avait le goût de l’histoire ». Pour cela il lut le livre de la restauration où l’abbé de Saint Martin Hermann racontait les origines du monastère. Ou en consultant le miroir historial de Vincent de Beauvais « résumant les connaissances de son temps ». 

A partir de 1296, il commença à noter « les principaux événements dont il avait eu connaissance ».

En 1346 « la cataracte commença de menacer sa vue. Et le jour de l’Assomption de la vierge glorieuse, le 15 août 1348 il célébra encore la messe mais ce fut la dernière fois. Il était maintenant totalement aveugle. Quel drame ! il ne pouvait plus voir ».

Malgré quelques tristesses au début, ne se laissant pas abattre Gilles le Muisit accepte cette punition de Dieu « pour ses péchés, pour ses méfaits, et donc pour le salut de son âme ».

S’appuyant sur l’exemple du roi aveugle Jean de Bohème mort à la bataille de Crécy en 1346, il « tâcha d’être patient ». Il fit recopier « une complainte sur les morts de Crécy, dont quelques cent cinquante vers étaient consacrés au roi aveugle. Gilles dans sa nuit, aima et fit copier ce texte qui nous serait, autrement inconnus ». Il avait la santé malgré son âge, « toutes ses facultés » et appétit à la vie.

« Pour éviter l’oisiveté, pour s’occuper, il se mit, en 1347, à dicter, à dicter sans trêve, en latin et en français, en vers et en prose ».

En ce milieu de XIVè siècle si lourd d’événements, derrière le voile de son cataracte, un vieil abbé bavard et spontané a dit d’abondance ce qu’il savait, ce qu’il pensait de lui-même et de son temps. Tous les volumes que les scribes de Saint Martin ont écrits, en quatre ou cinq ans, sous sa dictée, nous sont parvenus. Un historien peut-il rêver plus beau témoignage ?

Le monde en ordre

« Pour éviter l’oisiveté, Gilles le Muisit a entrepris de penser « as astas », comme bien des moralistes avant lui, et comme ce Reclus de Molliens qu’il admirait tant ». Il a traité de tous les personnages de la société médiévale de cette époque. En consacrant « plus de vers aux gens importants qu’aux gens modestes ». Il a peu parlé du « petit peuple des villes » et a ignoré « la multitude paysanne ».

« Pour Gilles le Muisit, dans la société, il y a toujours, à quelque point de vue qu’on se place, deux parts « comme les bons et les mauvais, les hommes et les femmes, les nobles et les « non nobles » et surtout les grand et les puissants et en dessous les « petits » ou le « peuple commun ». « Il y a enfin, princes ou puissants, prélats ou curés ceux qui détiennent un pouvoir, et, sous eux, leurs sujets ».

« La division binaire devint parfois ternaire. Entre les riches et les pauvres, entre les grands et les petits, Gilles fait leur place aux médiocres comme il dit en latin, ou aux moyens, comme il le dit en français ». « Mais sa vision fondamentale, le monde est constamment et clairement biparti ».

« Car ce sont les même qui sont riches, puissants et de grand parage, et que Gilles le Muisit appelle des « personnes authentiques ». S’ils sont moins nombreux que les « gens du communs, leur nombre n’est cependant pas négligeable ». Ils sont plus nombreux que les prélats « que Gilles le Muisit appelle des « personnes d’autorité ».

« Et le monde de Gilles le Muisit est simplement ordonné. Il y a d’un coté les personnes d’autorité et les personnes authentiques et de l’autre les gens du commun ». « Le monde de Gilles le Muisit est ordonné, mais il n’est pas immobile. Son ordre n’est même pas troublé mais plutôt confirmé par le légitime mouvement qui entretient le savoir ». « Leur savoir permet aux bons clercs d’être de bons pasteurs. Ils peuvent instruire le peuple en lui faisant de beaux sermons. »

Les papes Jean XXII, Benoît XII et Clément VI ont contribués à la formation de « lettrés, qu’ils fussent nobles ou non nobles ». « Loin de troubler l’ordre de la société, cette ascension sociale par le savoir le renforçait puisque, c’était les même qui étaient à la fois riches et puissants, savants et sages ». « Tout était plus simple lorsque les personnes puissantes et authentiques, étaient aussi authentiques et bonnes ». Elles définissaient le bien et le mal, quand au peuple il devait obéir.

Une chaîne de l’obéissance a tous les échelons de la société se mettait en place. Mais cette société n’était pas immobile. Gilles le Muisit l’avait vu évoluer et il partagea son existence entre le bon vieux temps et le monde en désordre.

Le bon vieux temps

Au travers de ses écrits, Gilles le Muisit ne parle que de « ce qu’il sait ». De ce qu’il a vécu ou dont il a eu des échos. Malgré le pèlerinage à Rome, lors du jubilé de 1300, certainement quelques voyages à Paris, il connaît peu le royaume et les autres pays occidentaux. « Car les seul pays qu’il connaisse vraiment bien, qui lui soient vraiment proches, c’est la Flandre, le Hainaut et le Brabant ». Mais ces comparaisons le ramènent toujours à se ville Tournai.

Cet homme d’habitude si précis sur les dates, nous donne peu d’information sur sa date de naissance. On présume qu’il était né en 1271 ou 1272. Mais le « vieil abbé se rappelle très bien le jour où il a pris l’habit. C’était le 2 novembre 1289″. Il égrène quelques souvenirs de jeunesse mais c’est « en 1296, que le jeune moine commença de noter les événements dont il était informé ».

Il relate « les dire des anciens », la bataille de Bouvines en 1214. Puis pour lui 1247 « et c’est à peu prés à ce moment là que commença l’âge heureux qui allait durer environ un demi-siècle ». Pour lui, « l’heureux temps fut moins le temps de bons papes que le temps de « boins roys ».

Malgré la révolte des tisserands en 1281, Gilles le Muisit insiste sur deux événements importants pour sa ville. Le début de la construction des remparts en 1277 et en 1283 l’institution « d’une fête annuelle, avec foire franche ».

« Hélas en 1296, commencèrent ces malheurs qui incitèrent peut être d’ailleurs le jeune moine à prendre des notes ». Tout d’abord débute la « rébellion du comte de Flandre contre le roi de France. Puis le conflit entre le roi de France et le roi d’Angleterre « . « Et ces guerres continuelles entraînaient pour Tournai et son plat pays des destruction répétées, à quoi s’ajoutaient les extractions des princes, les mutations des monnaies, les famines et les mortalités comme celles de 1315-1316″.

« La ruine du pays entraîna celle du monastère, rendue plus complète encore par le mauvais gouvernement des abbés, par les querelles ou s’opposaient les abbés et les moines. C’était partout la désolation ».

Deux drames personnels concordèrent avec deux événements grave pour l’occident. « En 1346, Gilles le Muisit ne pouvait plus lire et écrire ». Cette même année le roi de France est de fait lors de la défaite de Crécy et l’année qui suit c’est la réédition de Calais. « En 1348, Gilles le Muisit ne voyait plus rien. Quelques mois plus tard, la Grande Peste frappait le pays, elle tuait un tiers peut être de la population, et déchaînait les plus grands désordres ».

En effet, comment « faire preuve en 1350, en occident, d’un guilleret optimisme ? » Le vieil abbé regrettait « un temps bien plus proche et pourtant si lointain, dont tant de drames ô combien réels l’avaient tant éloigné, le temps de sa jeunesse.

Le monde en désordre

« Ces guerres, ces famines, ces mortalités, Dieu les a envoyées aux hommes pour les châtier, tous, de leur folies et de leurs péchés ». La vision de la société de Gilles le Muisit s’effondre. Les puissants n’avaient plus « la sagesse, l’expérience et le jugement ». « Mais en fait Gilles doit bien s’avouer que les vertus et les vices se trouvent aussi partout ». Les jeunes n’écoutent plus les conseils des anciens. Les vieux, s’ils sont parfois sages sont rapidement impuissants par leur paresses et leur égoïsmes.

« Et depuis la jeunesse de Gilles le Muisit, tout a empiré, tous ont plus péché, et la mort a frappé à coups redoublés ».

Alors que le prochain Jubilé était prévu en 1400, le pape Clément VI en organise un en 1350. « Parce que, après tant de guerres famines et de mortalités, les survivants avaient besoins d’un plus proche pardon ».

Gilles le Muisit regrette que les vieux soient peu nombreux. Dans son monastère sur trente deux moines, seuls quatre dépassent la cinquantaine. Mais il est difficile de comparer car Gilles ne nous donne aucune indication sur l’âge des soixante-huit religieux de l’abbaye en 1289.

« Gilles le Muisit, partagé entre la fierté d’être si bien si vieux, et l’amertume d’être si seul, n’avait que plus de raisons de se lamenter sur toutes ces mutations qu’il avait vues ».

Péché et autorité

« Sagesse et vertu ne sont plus l’apanage des vieillards. Elles ne sont plus non plus l’apanage des personnes authentiques ».

Gilles le Muisit dénonce le règne des sept péchés capitaux à savoir « l’orgueil », « l’envie », « l’avarisce », la « perèche », « l’ire », la « gloutrenie », la « luxure ». Il déplore ce qu’il appelle les « trois vices fondamentaux par quoi le siècle tous les jours empire, par quoi l’ordre social est perturbé et touchés tous les « estas dou » siècle, qui sont la cupidité, l’envie et l’orgueil ». Ce qui crée un « désordre total ».

Il dénonce aussi ce qu’il nomme « l’ambition mauvaise ». « Car toute ambition n’est pas forcement mauvaise. Il est légitime d’être élevé pour ses vertus et pour sa science. Mais toute science n’est pas bonne. La cupidité et l’orgueil la rendent mauvaise ». L’instruction pour certain n’a qu’un but, s’élever dans la société. Il regrette le temps des « bons pasteurs » mais aussi le choix des « seigneurs, laïcs ou ecclésiastiques ».

Il admet l’attribution de bénéfices à ses parents mais l’attitude de « Clément V (1305 – 1314)  » le choque car il octroie des bénéfices à  » des proches et des Gascons ». Les plus instruits n’étaient pas récompensé. Conséquence pour lui il « négligèrent les études ». L’exemple que devait les clercs n’existait plus.

Gilles le Muisit insiste sur l’abandon par les seigneurs de « leurs devoirs ». A savoir « en suivant les conseils des personnes authentiques, les seigneurs doivent maintenir la justice, tenir lois et coutumes anciennes, soutenir leurs sujets en leurs franchises, ne pas les molester, ne se permettre aucune exaction, aucune nouveauté, supprimer même les mauvais usages récents ». « C’est seulement à ces condition que les princes se font plus aimer que craindre, que les rois jouissent d’une véritable autorité et font régner chez eux la paix ». Il constate que ce n’est pas le cas ni chez les princes et les prélats. Les sujets, qui doivent obéissance, attendent le châtiment de Dieu.

Gilles le Muisit met en avant « le livre de la Sagesse que l’on disait alors de Salomon » en citant : « il accorde aux petits sa miséricorde. Mais les puissants souffriront de puissants tourments ».

« Le vieil abbé » est attentif aux murmures du peuple, « avant que l’éclatent ces « commotions » et ces « rebellions ». Si dans sa jeunesse il pensait que les « personnes d’autorité et les personnes authentiques qui étaient bonnes savaient juger et commander ». Ce qui facilité l’obéissance de tous.

Les certitudes de sa jeunesse étaient mises à mal. Sans être un « dévot de l’autorité », il ne pouvait rester perplexe devant un événement. Pour lui « il y avait quelque part une autorité qu’il fallait croire, à laquelle il fallait obéir ». Il était en accord avec « les vues d’abbé et celles de l’historien ». Car « ce sont les même hommes auquel l’historien recommande de croire et l’abbé d’obéir : ces hommes d’autorité sur lesquels, en dernière analyse, tout repose toujours ».

L’année terrible : 1349

« Et Gilles le Muisit eut bien besoin de toute ses certitudes pour apaiser toutes ses perplexités au seuil de cette année 1349 dont il allait vivre les terribles événements et dont il fut, jour après jour, le meilleur témoin ».

Il parle tout d’abord de la peste. Elle arrive sur les bords de la Méditerranée de l’Europe occidentale et progressivement remonte vers le nord. Le premier touché le 13 juin 1349 fut l’évêque, puis pendant quelques semaine plus rien. A partir du 30 août, le quartier insalubre du merdenchon fut touché. Chaque jour apporta son lot de décès. Les autorités furent obligées de réglementer les cérémonies autour des enterrements, sonneries de cloches, chants, repas de deuil et même à la fin les participants à la messe d’enterrement. Le cimetière autours de l’église étant trop petit, l’autorité envisageât l’ouverture de « deux cimetières extra muros« . Mais devant « le murmure de la communauté », les autorités firent creuser des fosses pouvant « contenir 200 ou 300 corps » dans « chaque cimetières existants ».

A la Toussaint l’épidémie s’apaisa. « Elle avait tué beaucoup de gens, des riches, des médiocres et des pauvres. Gilles remarqua toutefois que la mort avait épargné ceux des plus puissants et des plus riches qui avait bu du vin, s’étaient gardés de respirer un air corrompu et abstenus de visiter les malades ».

Pendant ces deux mois d’épidémie, Gilles le Muisit cite « quatre apparents miracles ». Il cite le cas d’une fillette qui une fois examinée par la commission épiscopale fut déclaré « ignorante ». L’évêque « ordonna aux parents et à l’enfant de cesser ». « Le peuple ignorant n’avait plus qu’à obéir. Ce qu’il fit en effet ».

Mais cette facile sentence de la sagesse et du savoir, ce brusque apaisement, ce rapide triomphe, les autorités ne les obtinrent pas dans les deux grands mouvements qui accompagne, en 1349, la mortalité : le massacre des juifs et la pénitence des Flagellants ».

« L’épouvantable fléau », en l’occurrence la peste, avait des origines diverses. Pour les « moralistes » c’était Dieu qui « châtier les hommes de s’être livrés aux sept péchés capitaux. Les scientifiques avait une autre analyse, mais pour le peuple la rumeur commune:  » les juifs avaient empoissonné les puits ». Gilles le Muisit site les persécutions qu’il connaît contre les juifs.

« Il dit comment les habitants ont imposé aux autorités la destruction des juifs, et, pour une fois, cet homme si prompte à l’éloge et au blâme n’a pas un mot, ni pour condamné la faiblesse des autorités, ni pour stigmatiser l’aveuglement du commun, ni pour plaindre les victimes ».

C’est aussi l’apparition dès juin 1349 en Flandre, venant d’Allemagne de nouveaux pénitents. « On vit alors des pénitents qui portaient sur leurs vêtements des croix. Ils avaient à la main un bâton de pénitent. A leur ceinture pendait un fouet, qu’on disait alors en français « scorgie », une « escorgie », mais un fouet particulier avec trois nœuds, quatre pointes de fer sortant de chaque nœud. En des processions ordonnés d’ou surgissaient crucifix et bannières, ils allait deux par deux et ils chantaient en ordre, les un commençant, les autres répondants en chœur, des pieux cantiques nouvellement composés non pas en latin, mais en leur langue. Puis, deux fois par jour, ils s’arrêtaient sur une place, faisaient cercle, se mettaient nus jusqu’à la ceinture, nus pieds, prenaient leur « esgorgies » et se fouettaient jusqu’au sang, en chantant toujours. Pour finir, ils se prosternaient et priaient. Cette pénitence durait trente jours.

Au départ ce mouvement bénéficie de la Sympathie des autorités. Mais dès 1349, Gilles Van der Hoye, docteur en théologie, doyen de la collégiale Notre Dame de Courtrai, s’oppose à ses pénitents. « Car ces bruyantes séances de flagellation, estimait il, troublaient l’ordre public et diminuaient les honneurs du au prince et au clergé ». Pour sa part le prévôt de St Martin d’Ypres, Alard de Denterghem ne s’opposait pas à se « nouveau rite ». « Ainsi en Flandre, les savants s’opposaient-ils, et commençaient déjà, sans doute, à chercher plus haut un avis plus sur de plus d’autorité ».

Pendant ce temps le phénomène des pénitents de développaient. Le vieil abbé observait et s’interrogeait. « Un bon chrétien comme Gilles le Muisit n’avait donc pas à approuver ou à réprouver. Il devait, en attendant le jugement de Dieu et de la Sainte Eglise, répéter la parole de Saint Paul : Ne jugez point avant le temps ».

La faculté de théologie de Paris était déjà consultée. N’ayant pu trancher elle s’en reportait a la décision du pape. Jean Du Fayt, pour cela, fut envoyé pour informer le pape. Hostile a ce mouvement que certains appelaient les « Flagellants », il dénonce cette nouvelle secte devant le pape.

« La nouvelle secte et ses nouvelles cérémonie ne serait donc être bonnes ; elles ne sont pas bonnes en effet ; et d’ailleurs toute nouveauté, qui débilite la loi, et condamnable. Le silence du pape ne peut être que fortifier la nouvelle secte. Jean Du Fayant le supplie donc, pour finir, de mettre fin aux bavardages, d’arracher l’ivraie pour que le bon grain ne meure, de trancher pour qu’elle périsse. Et Clément VI tranchait en effet. Dès le 20 octobre, il condamnait les nouveaux pénitents. » Il est suivit par la faculté de théologie de Paris dès le 3 novembre. Il faut attendre la lettre du roi Philippe VI le 15 février 1350 pour que les échevins de Tournai publient la bulle pontificale et la décision royale.

Le vieil abbé avait suivit l’événement, parfois avec « sympathie » mais une « fois les flagellants condamnés et disparus, il n’eut pas un mot pour les accabler ». « Il n’eut pas non plus un mot pour les regretter ».

Pourtant la bulle pontificale avait eut besoin de la décision du roi pour s’appliquer, « la chose n’avait guère frapper les esprits ». « Et qui donc aurait il eut l’idée, en cette année 1350, que le pape put être contester ? ».

Les dernières années

Un maître allemand Jean de Mayence opéra Gilles le Muisit de sa cataracte en septembre 1351. L’opération réussit, le vieil abbé retrouva la vue. « Sans doute ne pouvait- il ni lire ni écrire, mais il reconnaissait à peu près les gens et pouvait célébrer la messe ».

« De nouveau, il vaqua aux devoirs de sa charge. Et il laissa la vers et prose. Et nous ne savons plus rien de Gilles le Muisit, sauf qu’il mourut, à quatre-vingt-un ans, le 15 octobre 1355. On l’entera dans le chœur de l’église abbatiale, à droite de l’autel.



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