Le Conseil National de la Résistance (CNR). Quelques éléments sur sa création et son action.
C’est le 27 mai 1943 que se constitue à Paris, lors d’une réunion comptant 19 participants, le Conseil de la Résistance qui deviendra, à l’automne 1943, le Conseil National de la Résistance. Ces participants représentent huit mouvements de la résistance, deux syndicats CGT et CFTC et six partis de la III ème République.
Avant d’en arriver là quelques éléments pour mesurer l’évolution des positions des uns et des autres. Il faut savoir que le grand tournant d’avant la deuxième guerre mondiale se situe en 1936. Après la création du Front Populaire, en 1935, c’est la victoire de la gauche aux élections des 26 avril et 3 mai 1936. A l’issue de cette victoire un large mouvement de grève, favorisé par l’unité de la CGT et de la CGTU, se développe dans le pays avec une forme nouvelle d’action : grève avec occupation des locaux.
À l’issue de cette action de nombreux acquis sociaux sont obtenus avec notamment la mise en place des premiers congés payés, l’élargissement à tous des conventions collectives, la semaine de 40 heures et la mise en place des délégués du personnel. C’est un succès pour les ouvriers en grève et un échec cuisant pour le patronat.
De là va naître un esprit de revanche qui fait dire au grand patronat « plutôt Hitler que le Front Populaire ». Cet esprit revanchard va s’étendre dans les grandes administrations, à une partie du corps diplomatique et jusqu’à de nombreux cadres de l’armée et même au niveau de l’état-major. Ce courant est relayé par les ligues comme l’Action française, les Croix de Feu, le Parti populaire français et la Cagoule, parmi les plus importants.
Il faut noter la composition sociale en France à ce moment-là, et cela sera valable pour plusieurs décennies, à savoir que les ouvriers représentent le tiers de la population comme les agriculteurs et comme les commerçants et artisans.
1938 sonne la fin du Front Populaire, les décrets lois de Daladier du 12 novembre remettent en cause les 40 heures, les conventions collectives et le statut des délégués du personnel.
Au niveau européen une évolution inquiétante se dessine avec un progrès des idées d’extrême droite. En 1922, Mussolini prend le pouvoir en Italie à l’issue d’une marche des chemises noires vers Rome. En 1933, Hitler est nommé chancelier en Allemagne. En France, le 6 février 1934, les ligues tentent de prendre le pouvoir en renversant la République. Ils échouent et la riposte ouvrière et populaire est importante. Le 17 juillet 1936, c’est le début de la guerre d’Espagne, des insurgés dirigés par Franco s’opposent au pouvoir républicain et le 7 août le gouvernement du Front Populaire de Léon Blum décide la non-intervention. Enfin, devant les atermoiements des gouvernements français et britanniques pour conclure un accord de défense réciproque avec l’URSS, celle-ci signe, le 23 août 1939, le pacte germano-soviétique. En France les anticommunistes se déchaînent, dès le 18 septembre 1939, la CGT décide l’exclusion de ses membres communistes et le 26 septembre le gouvernement interdit le Parti communiste français.
Une longue période de clandestinité et de difficultés commence pour les militants révolutionnaires (anciens de la CGTU et militants communistes). Dans les faits la CGT connaît une scission avec l’exclusion d’une partie de ses militants et responsables.
Lors de l’attaque par l’Allemagne, le 10 mai 1940, la France, après cinq semaines, se voit infliger une sérieuse défaite militaire et le 22 juin est signé l’armistice. La France est alors partagée en deux, la moitié occupée par les forces nazies. Le 10 juillet 1940, l’Assemblée nationale vote les pleins pouvoirs à Philippe Pétain qui dissout la République et impose l’Etat français avec comme devise : Travail – Famille – Patrie.
Les syndicats CGT et CFTC sont dissous et remplacés par des structures dans lesquelles se retrouvent ouvriers et patrons. Les militants CGT poursuivent leur activité autour de leur journal La Vie Ouvrière dont le premier numéro paraît en janvier 1940. Pendant toute la durée de la guerre 223 numéros clandestins vont paraître. Après la dissolution de la CGT par René Belin, ministre du travail de Pétain, ancien secrétaire de la CGT et animateur du journal Syndicat créé en 1936 avec une ligne très anticommuniste, le numéro 15 de La Vie Ouvrière de décembre 1940 indique : « L’agent des trusts Belin fait signer le décret sur l’organisation professionnelle. Il pense ainsi museler la classe ouvrière… Dans chaque usine, chantier, service, magasin… TRAVAILLEURS UNISSEZ-VOUS ! Elaborez vos cahiers de revendications, désignez les délégués pour les soutenir devant la direction. »
Ainsi pour la CGT et ses militants la ligne de conduite est claire, poursuivre l’action car les revendications sont nombreuses. D’autant qu’à l’été 1940, les tickets de rationnements sont mis en place ce qui va aggraver la situation des travailleurs et de l’ensemble de la population. La CGT se structure autour de ses militants les plus actifs dont les anciens « unitaires » qui sont dans la clandestinité depuis 1939. Nombre de ces militants, anciens des brigades internationales, seront à l’origine de la résistance armée comme Charles Tillon, Rol Tanguy, Fabien et bien d’autres.
Les appels à la résistance de 1940, le 17 juin par Charles Tillon, député communiste, le 18 juin par le général De Gaulle de Londres et le 10 juillet par le PCF, vont aider à développer l’esprit de la résistance. Peu à peu elle s’organise tant en France qu’à Londres autour du général De Gaulle et dans l’ancien empire colonial français. En France plusieurs groupes de résistants se constituent. Leurs actions consistent, pour certains, à réaliser de la propagande appelant à battre l’Allemand, pour d’autres à fournir des renseignements aux anglais. Ils peinent à se structurer et surtout à se coordonner car la répression s’abat sur eux. Mais aussi des désaccords et des oppositions voient le jour entre les différentes sensibilités.
Pour tous les Français les difficultés s’aggravent (avec la mise en place des tickets de rationnement en été 1940). D’ailleurs la CGT clandestine se bat pour le ravitaillement et les revendications. Les communistes diffusent L’Humanité (Huma) clandestine à partir d’octobre 1939. Par la suite de nombreux journaux de la résistance seront édités comme Le Populaire, Le Franc-Tireur, Combat, Libération, Défense de la France, Témoignage Chrétien, Résistance, France D’abord, Le Coq Enchainé !… et bien d’autres. Pendant la durée de l’occupation sont recensés 1000 titres, certains pour une durée éphémère et d’autres de 1940 à 1944.
Des mouvements de résistance se constituent aussi bien dans la zone Nord occupée que dans la zone Sud sous le contrôle du gouvernement vichyste de Pétain. Les plus importants sont le Front National, Ceux de la Libération, Ceux de la Résistance, Libération Nord, Libération Sud, l’Organisation civile et militaire et les Francs-Tireurs. Qui seront plus tard au CNR.
Dès 1941, la question de la lutte armée contre l’occupant se pose. Le PCF a transformé l’Organisation spéciale en Francs-Tireurs et partisans qui deviendront l’organisation militaire du Front National créé le 15 mai 1941. Pour faire évoluer l’attentisme de certains, le militant communiste Pierre Félix Georges plus connu sous le nom du colonel Fabien, va abattre un officier allemand au métro Barbès Rochechouart le 22 août 1941. A partir de cet évènement la résistance va se développer dans tout le pays. Les Allemands accentuent la répression. Les Forces françaises libres (FFL), créées à Londres le 22 juin 1940, se structurent. De 7000 hommes elles dépassent le million en août 1945. En mars 1941 la colonne Leclerc est créée en Afrique. Elle deviendra le 15 mai 1943 la 2ème division blindée. Le général De Gaulle crée, en accord avec les Soviétiques, l’escadrille Normandie-Niemen en septembre 1942. Les Français participeront aux combats aériens avec l’URSS jusqu’à la fin de la guerre sur le front de l’Est. Ainsi les FFL seront présents sur tous les fronts.
Mais à l’extérieur les manœuvres se poursuivent. Les Etats Unis appuient le général Henri Girault, ancien vichyste, à la tête de « l’empire colonial et des armées qui y séjournent. » Les USA se méfient du général De Gaulle et de la résistance intérieure trop communiste à leur goût. De Gaulle a besoin du soutien de la résistance intérieure. Il indique d’ailleurs sur les ondes britanniques, le 18 avril 1942 : « La libération nationale est inséparable de l’insurrection nationale. » Il décide d’envoyer Jean Moulin pour unifier la résistance et mettre en place une « institution clandestine ».
Au niveau international la situation évolue favorablement aux combattants de la liberté. Les alliés débarquent le 8 novembre 1942 en Afrique du Nord, l’Armée rouge écrase les nazis à Stalingrad et obtient la reddition du général Von Paulus le 2 février 1943 et « l’Africa Korps » de Rommel se rend le 13 mai 1943. Même si le deuxième front, souhaité par l’URSS, n’est pas ouvert, les armées hitlériennes sont en difficulté sur tous les fronts.
En France, les armées allemandes, envahissent la « zone libre » le 11 novembre 1942, en riposte au débarquement allié en Afrique du Nord. L’arrivée de Jean Moulin, « Rex » dans la résistance, va accélérer les rencontres et les discussions pour unifier la résistance dans son ensemble. Les actes de résistance se multiplient sur tout le territoire. La répression va aussi s’accroître de la part des Allemands mais aussi de la part des Français collaborateurs et le gouvernement de Vichy va créer, le 30 janvier 1943, la milice dirigée par Joseph Darnand. Les efforts de Jean Moulin se trouvent facilités par la reconnaissance du général De Gaulle comme « dirigeant historique » par le PCF. Cela se matérialise par l’arrivée de Fernand Grenier, le 11 février 1943, comme représentant du PCF à Londres et se traduit par une plus forte reconnaissance du PCF et de ses mouvements de résistance. Un autre évènement important va accélérer le processus d’unification de la résistance, la réunification de la CGT, le 17 avril 1943, lors des accords du Perreux entre les anciens unitaires et les confédérés.
Après de nombreuses discussions et parfois des oppositions, se constitue le 27 mai 1943, le Conseil de la résistance. Il est composé par les huit mouvements de la résistance déjà cités (le Front National, ceux de la Libération, ceux de la Résistance, Libération Nord, Libération Sud, l’Organisation civile et militaire et les Francs-Tireurs), deux syndicats (CGT et CFTC) et six partis de la IIIème République à savoir : le PCF, la SFIO (socialistes), les Radicaux, les Démocrates-chrétiens, l’Alliance démocratique (droite modérée et laïque) et la Fédération républicaine. Il sera dirigé par Jean Moulin puis par Georges Bidault et enfin par Louis Saillant.
Pour faciliter le travail du Conseil un bureau, constitué de cinq membres représentants toutes les sensibilités de la Résistance et des partis politiques, est mis en place. Il assure la coordination et le travail du conseil sachant que réunir plusieurs personnes n’est pas recommandé au niveau de la sécurité durant cette période. C’est donc ce bureau qui va coordonner l’activité du mouvement pour la mise en place du programme du CNR qui sera adopté le 15 mars 1944. Son contenu très progressiste et d’avant-garde, avec des mesures sociales inédites, sera appliqué à la libération.
La Résistance, à l’heure de la libération du territoire, va constituer une force déterminante pour les alliés. On estime qu’environ 150 000 résistants ont participé, sous différentes formes, à la libération.
Le CNR a permis d’unifier et de développer les actions de la résistance. Il a apporté sa contribution à l’accélération de la libération de la France en juin 1944 et les mois suivants. Et son programme, « Les Jours Heureux » a contraint certaines forces à le prendre en compte après la libération et lors de la reconstruction de la France.
Son originalité : Toutes les forces politiques y font référence jusqu’en 1947, date de l’éviction des ministres communistes du gouvernement.
Sa particularité : Il reste, encore aujourd’hui, une référence pour les forces progressistes en montrant comment il est possible de faire une politique de progrès social tout en reconstruisant un pays alors exsangue après la guerre.
Ces mesures visionnaires restent à jamais ancrées dans le pays comme par exemple la Sécurité sociale. Malgré les coups qui lui sont portés, cette institution sociale est un bel exemple d’invention sociale au service de tous et surtout des plus démunis.