17 octobre 1961
50 ans de silence sur un massacre
Paris le 17 octobre 1961
C’est une triste date dans l’histoire récente de notre pays, tant par les événements qui s’y sont déroulés que par certains personnages mis en cause.
Depuis le 1er novembre 1954 une « révolte » gronde en Algérie. Ce qui sera qualifiée pendant des décennies « d’événements d’Algérie » avant d’être appelée par son véritable nom : La Guerre d’Algérie. Cette guerre va occasionner de nombreux morts militaires et civils des deux côtés. L’engagement de la France est conséquente puisque 400 000 soldats (appelés et réservistes compris) sont engagés dans ce conflit dés 1955.
Sans énumérer toutes les dates de cette guerre qui va durer 8 ans, il semble important de retenir quelques moments clés :
- 1957 le général Massu engage et gagne militairement la bataille d’Alger
- 1958 arrivée au pouvoir du général de Gaulle
Si militairement la France s’affirme sur le terrain, au plan politique national et international elle est isolée, et l’opinion publique évolue vers la nécessité de terminer ce conflit.
- Le 8 janvier 1961, par référendum en métropole, les électeurs approuvent à 75,26 % la politique d’autodétermination en Algérie.
- Avril 1961, conséquence du référendum, le putsch des généraux d’Alger qui échouera car la majorité des appelés ne suit pas les insurgés.
La communauté algérienne, souvent des salariés de l’industrie, est nombreuse en métropole. Et, naturellement, le Front de Libération Nationale (FLN) mais aussi, dans une moindre mesure, le Mouvement Nationaliste Algérien (MNA) mènent une activité pour soutenir les combattants en Algérie en matière financière, de propagande et militaire. Des conflits parfois physiques surgissent entre ces deux mouvements mais aussi avec la police, les harkis engagés dans les Forces auxiliaires de police.
A signaler que durant cette période le préfet de la ville de Paris et du département de la Seine est Maurice Papon, à l’origine de l’arrestation et de la déportation de juifs en Gironde en tant que secrétaire général de la préfecture.
Autre élément à prendre en compte, à l’intérieur du gouvernement français existent des désaccords entre la Premier ministre Michel Debré et le Garde des Sceaux Edmond Michelet qui, lui, est pour la négociation. Ce dernier quitte le gouvernement le 23 août 1961.
Les discussions entre le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) et le gouvernement français prend fin le 28 juillet 1961 la France « refuse de reconnaître l’appartenance du Sahara au futur État algérien indépendant ». C’est dans cette partie du territoire que se concentrent les richesses en gaz et en hydrocarbures, de plus la France y effectue ses expériences nucléaires.
Fin août 1961 le FLN reprend les actions armées en métropole.
Maurice Papon, dans une note du 5 septembre 1961 au service de coordination des affaires algériennes et au directeur général de la police municipale, écrit : « Il faut tout d’abord reprendre fermement l’offensive dans tous les secteurs, harceler l’organisation politico-administrative du FLN, pourchasser les collecteurs de fonds, rechercher les dépôts d’armes, neutraliser les groupes de choc. Les membres des groupes de choc surpris en flagrant délit de crime doivent être abattus sur place par les forces de l’ordre… »
Le 5 octobre 1961 il annonce : « Dans le cadre des mesures nouvelles prises pour neutraliser le terrorisme algérien et accroître la protection des personnels de police, j’ai décidé de prononcer le couvre feu pour les Français musulmans d’Algérie de 20h30 à 5h30 du matin. »
Le 7 octobre, le FLN vient d’ordonner : « Nous vous demandons de cesser toute attaque contre les policiers. »
Le 9 octobre Papon s’adresse au ministère de l’Intérieur : « Depuis le 1er janvier 1958… c’est la mort de 47 policiers des services actifs ou de la Force auxiliaire de police que nous déplorons… la police parisienne… a besoin de savoir que les assassins de policiers seront châtiés sans faiblesse. »
Dans un même temps, des contacts entre direction algérienne et gouvernement français sont repris par un diplomate suisse. Une rencontre est prévue le 20 octobre en Suisse. Les partisans dans le gouvernement de la partition de l’Algérie durcissent leurs positions.
Pour le 17 octobre, le FLN appelle les Français musulmans d’Algérie (FMA) à défiler pacifiquement en fin de soirée sur les boulevards parisiens. L’objectif de cette manifestation est de s’opposer au couvre feu décrété quelques jours plus tôt. Le FLN souhaite une manifestation pacifique et la police en est informée car elle intercepte les directives du FLN. Malgré cela, un important dispositif policier se met en place, particulièrement à Paris.
Ce jour-là la répression est terrible, et une majorité des forces de l’ordre se déchaîne contre les FMA. Officiellement, il y a 2 morts mais d’autres sources font état de plusieurs centaines de victimes.
D’après les chiffres officiels de la préfecture de police, le 18 octobre la police détient dans différents lieux de Paris 11 538 FMA, le 19 octobre ils sont 12 162 détenus à Paris.
La préfecture de police annonce, pour les 17 et 18 octobre, 7 morts et 136 blessés parmi les manifestants et 15 blessés pour le service d’ordre. Les manifestants auraient tiré les premiers sur les force de police.
Mais de nombreux corps de FMA sont repêchés dans la Seine. Là encore, Maurice Papon avance la théorie que « les seuls cadavres qu’on a jamais retrouvés dans la Seine sont ceux des militants MNA tués par le FLN ». C’est la thèse officielle reprise par de nombreux responsables des forces de l’ordre « les manifestants musulmans s’étaient massacrés entre eux ».
La polémique sur le nombre de victimes enfle.
Plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer le massacre. « Les séminaristes du Service de Santé des armées se sont renseignés autour d’eux : on fait état de 350 morts ». Pour le palais des sports (lieu de détention) les infirmiers de l’hôpital militaire de Begin avancent les chiffres de 80 blessés et 80 morts.
Le 31 octobre sur un tract de l’Amicale des policiers républicains on peut lire : « À l’une des extrémités du pont de Neuilly, des groupes de gardiens de la paix à l’autre des CRS, opéraient lentement leur jonction. Tous les Algériens pris dans cet immense piège étaient assommés et précipités dans la Seine. Il y en eut une bonne centaine à subir ce traitement. Ces mêmes méthodes furent employées au pont Saint Michel. »
Dans les archives du ministère de la justice le procureur général prés de la cour d’appel de Paris écrit le 3 novembre 1961 au ministre de la Justice : « … le nombre des informations ouvertes depuis le 1.10.1961, à la suite de la découverte de cadavres Nord-Africains s’élève :
- à 65 pour le parquet de la Seine
- à 19 pour le parquet de Versailles
- à 4 pour le parquet de Pontoise »
D’après la direction de la police judiciaire de la police parisienne : « les corps de 121 individus d’origine musulmane ont été trouvés en différents lieux » dans le département de la Seine du 13 octobre au 1er décembre « il s’agit là d’individus qui selon toute vraisemblance ont succombé à des morts violentes.
Jean-Luc EINAUDI, auteur de Octobre 1961, Massacre à Paris, paru en 2001, précise que dans son premier livre, La bataille de Paris, 17 octobre 1961, paru en 1991, il avance le chiffre de 200 morts pour les 17 et 18 octobre en donnant une liste de 74 noms de tués et 68 noms de disparus soit 142 morts. Dans son dernier livre à partir de plusieurs archives ouvertes pour lui dés 2000, il précise cette liste « 325 victimes dont la mort peut très vraisemblablement être imputée à l’action de la police
Il est urgent que ce massacre soit enfin officiellement reconnu.
Pour plus de détails et de précisions :
Lire le dernier livre de Jean-Luc EINAUDI Octobre 1961, Massacre à Paris, paru en 2001.