Introduction
Les premières lignes de chemin de fer en France (1828-1856).
La construction des lignes ferroviaires en France a commencé plus tard comparé à d’autres pays d’Europe comme la Grande Bretagne ou la Belgique.
La première ligne fut mise en service le 1er octobre 1828 reliant Andrézieux à Saint-Etienne. Elle mesurait vingt kilomètres et permettait le transport de charbon par traction animale. Le 3 avril 1832 fut terminée la ligne Saint-Etienne Lyon de cinquante kilomètres de long. Elle était d’une conception nouvelle avec des ouvrages d’art, des courbes plus grandes, des tunnels faisaient leur apparition et les pentes étaient faibles. Cette fois-ci le rail en fer fut posé sur des traverses de bois. « On peut donc dater de 1832 l’apparition publique et éclatante d’un véritable lobby ferroviaire prêt à imaginer les combinaisons financières et à affronter les difficultés techniques liées à la mise en place d’un réseau . »
A partir de 1840 la circulation des marchandises en France connut des difficultés. En effet, les routes et voies navigables étaient insuffisantes. Ce fut dans la même période que les puissantes banques parisiennes s’engagèrent dans le financement de la construction de lignes ferroviaires. Malgré les peurs, les rumeurs des citoyens et l’inquiétude des transporteurs routiers (à l’époque les messagers) l’idée du développement du rail fit son chemin.
« Dès 1838 les grands axes ferroviaires à partir de Paris furent fixés vers Le Havre, Lille, Strasbourg, Lyon, Marseille, Nantes, Bordeaux et Bayonne, Toulouse. A ces axes s’ajoutèrent deux grandes transversales Bordeaux – Toulouse – Marseille et Marseille – Lyon – Strasbourg. Le rail devint rapidement un instrument de développement économique en reliant l’océan à la Méditerranée et en permettant le transit des produits coloniaux. Il reliait l’ensemble du pays, apparaissait comme un instrument d’unité nationale. Il facilitait le déplacement des populations. De 1835 avec 5 millions de voyages en diligences on est passé à 94 millions de voyages en train et à 400 millions en 1900 pour atteindre 800 millions à son apogée en 1930. »
La question du rôle de l’Etat était une question centrale. La loi de 1842 dite « loi Guizot » (Annexe 1) trancha en la matière :
- Les grandes lignes devraient partir de Paris pour desservir les grandes villes du royaume et aller vers les frontières. Le plan du futur réseau se dessina.
- Les modalités de concessions y furent définies.
- La question du financement de la construction et de l’exploitation des lignes fut arrêtée.
Les départements traversés par le rail se devaient de financer, sur la base des deux tiers, l’achat des terrains, la construction des bâtiments, les terrassements, les ouvrages d’art et stations. Les communes étaient invitées à participer financièrement au développement du rail. L’Etat pour sa part faisait l’avance de l’argent et participait pour le tiers restant sur les sommes dépensées.
« Cette clarification d’ensemble de la « question du chemin de fer » concernait trois domaines : celui de la direction et du tracé des lignes, celui de leur régime juridique et financier, celui enfin des techniques et des modes de gestion. »
« A partir de 1842, l’histoire du chemin de fer devient inséparable de l’histoire générale de la France. »
Ce fut à partir de ce moment là que commencèrent à se mettre en place les réseaux. De nombreux investisseurs privés se lancèrent dans la construction de voies ferrées sur l’ensemble du territoire national. Une succession de fusions et de conventions ont donné naissance à des compagnies avec leurs propres réseaux. En 1853 ce fut la naissance de la Compagnie reliant Lyon à la Méditerranée suivie en 1857 par l’apparition de Paris – Lyon – Méditerranée (PLM).
L’année 1857.
1857 fut une année charnière qui vit l’apparition des réseaux avec de nouvelles fusions et certaines extensions. A ce moment là, la France comptait six compagnies avec leurs réseaux, Paris – Lyon – Méditerranée (PLM), Paris – Orléans (PO), le Midi, l’Ouest, l’Est et le Nord. Ce découpage en réseaux existera jusqu’à la nationalisation de 1938 (Annexe 2).
« La géographie des réseaux a été l’aboutissement d’intenses rivalités entre les compagnies qui contrôlaient les lignes principales pour étendre leurs zones d’influence. Cette première logique fut complémentaire de celle de la densification de la desserte à l’intérieur de la zone délimitée, destinée soit à concurrencer la voie d’eau, soit à fournir un débouché à des localités actives désireuses de « jouir des bienfaits du chemin de fer ». »
Les conventions de 1859.
La crise économique entraîna, dès le second trimestre 1857, une baisse des revenus des compagnies. En 1858 les compagnies demandèrent la révision des conventions et des délais supplémentaires pour la construction de nouvelles voies ferrées. « C’est alors que fut conçu le système des conventions dont le but était de permettre aux compagnies de respecter les délais de construction tout en sauvegardant leurs dividendes. »
L’Empereur se montra favorable à celles ci et « elles furent signées en 1858 et votées en juillet 1859. »
Conséquences pour les compagnies, elles devaient soumettre leurs comptes à un contrôle sévère des autorités. Une interférence permanente entre les compagnies et l’Etat s’était mise en place. Les compagnies obtenaient des aides financières de l’Etat pour développer le rail mais, en contre partie, l’Etat s’attribuait un droit de regard sur leurs gestions financières. « Cette lourde procédure, qui reposait sur une analyse des comptes des compagnies dans leurs moindres détails, fit naître un contentieux considérable entre elles et l’Etat. »
L’année 1865.
D’autres dispositions législatives furent prises en 1865 comme par exemple celle qui « préconisait la non-intégration des lignes locales dans les grands réseaux et conseillait de confier leur exploitation à des petites compagnies qui, contrairement aux grandes, soumises à des cahiers de charges draconiens, pourraient assurer un service réduit, proportionné au trafic réel. C’était bien là l’esprit de la loi de 1865. »
Pendant cette période la « vicinalité ferroviaire » fut largement encouragée auprès des notables, des assemblées locales et départementales. « Dès lors, bien loin d’être au point de départ d’un essor mesuré et harmonieux des lignes « affluentes », la loi de 1865 ouvrit, dans l’histoire des chemins de fer français, une période d’instabilité qui devait se prolonger pendant quinze ans. »
Le plan Freycinet (1878).
« Dans deux rapports adressés au président de la République les 2 et 15 janvier 1878, Freycinet annonça qu’il envisageait un vaste programme de travaux publics, comprenant 3 milliards de dépenses pour les chemins de fer et 1 milliard pour les canaux. »
La situation financière de la France dans cette période était saine et les recettes fiscales allaient largement au-delà des dépenses programmées. La III ème République était véritablement aux mains des républicains et ceux-ci voulaient aussi utiliser le rail comme vecteur de développement économique et républicain au même titre que l’instruction publique. A partir de la corporation cheminote il s’agissait de démocratiser le voyage. Cette démocratisation devait permettre à tous de franchir de nouvelles distances, d’échanger, de renforcer les liens entre les personnes et les lieux. L’ambition du plan Freycinet était de « consacrer 600 millions de francs par an aux travaux publics et d’achever en dix ans un réseau d’intérêt général qui atteindrait 37 000 kilomètres, soit la même longueur que le réseau des routes nationales. Il s’agissait d’ajouter 16 000 kilomètres au réseau existant, ce qui représentait une dépense de 3,2 milliards de francs, sur une base, fortement sous-évaluée d’ailleurs, de 200 000 francs au kilomètre. »
« Mais le projet ne cessa de se gonfler inexorablement sous la pression de l’électoralisme. »
Pour financer le programme un projet de rentes de 3 % amortissables fut proposé comme le faisait déjà les compagnies. L’amortissement était prévu sur soixante quinze ans. Avantages de ces titres pour les souscripteurs, ils n’étaient nullement soumis à l’impôt sur le revenu des valeurs mobilières et à la taxe de transmission contrairement aux obligations de chemin de fer. Les compagnies firent un bon accueil à ce plan car l’Etat s’engageait à financer les nouvelles lignes et à racheter des lignes secondaires.
Certains ingénieurs des Ponts et chaussées et des libéraux émirent des réserves sur la validité et la crédibilité de ce plan. En effet, à l’exception du doublement des lignes saturées, la majorité des villes traversées par les lignes projetées étaient déjà desservies par la route de façon satisfaisante et à moindre coût. Ce qui de toute évidence pénalisait le projet dès le départ. En outre les collectivités mettaient en avant de nombreux autres projets arrivant à la création de 19 000 kilomètres de voies nouvelles. Enfin l’émission du premier emprunt à 500 millions ne remporta pas un franc succès.
Une campagne de pression était engagée contre le plan Freycinet. « Politiquement le plan Freycinet fut un échec. Le gouvernement ne parvint pas à contrôler le processus de son application, ni à jeter les bases d’un nouveau régime de chemin de fer. »
Les conventions de 1883.
A la différence de 1859, l’Etat connut de sérieuses difficultés financières, à partir de 1882, et il s’adressa à des compagnies en pleine prospérité.
Le ministère de tutelles des chemins de fer était celui des Travaux Publics. Ce fut d’abord David Raynal ministre des Travaux Publics du gouvernement Jules Ferry, alors président du Conseil, qui négocia ces conventions. L’objectif était de faire financer par les compagnies la construction des lignes nouvelles aux travers d’emprunts émis par les compagnies pour le compte de l’Etat. Le crédit des compagnies remplaça celui de l’Etat. « Les compagnies en son lieu et place. »
Cette habilité financière devait se doubler d’une utilisation des plus values financières déjà exploitées pour compenser les futures insuffisances d’exploitation des lignes à construire. Premier avantage pour l’Etat, les compagnies assureraient la construction de 1 400 kilomètres du plan Freycinet. Mais « les conventions de 1883 associaient plus étroitement encore que ne le faisaient les conventions antérieures les intérêts de l’Etat et ceux des compagnies. »
« Les conventions de 1883 furent une savante construction. Elle permit de financer la construction de lignes nouvelles réclamées à cor et à cri par les électeurs, sans dégradation du crédit de l’Etat. L’émission d’obligation fut, une fois encore, l’instrument de cette politique. »
Cet équilibre financier eut du mal à se mettre en place car la crise économique se répercuta aussi sur les compagnies. Leur situation financière entre 1884 et 1913 connut trois grandes phases :
- 1884-1893 dégradation financière
- 1893-1906 équilibre fragile pour les compagnies sauf pour celle de l’Ouest
- A partir de 1906, malgré une période de croissance accélérée de trafic et une forte augmentation des recettes, il n’y eut pas d’amélioration des résultats financiers. Alors que dans le même temps un besoin d’investissement se faisait sentir.
A noter, pendant cette période, le rachat par l’Etat en 1908 de la compagnies de l’Ouest en raison d’une dette dont le remboursement devint impossible. A partir de ce moment là ce réseau pris la dénomination de réseau d’Etat.
Rôle des chemins de fer dans l’économie de 1883 à 1914.
Pendant cette période le réseau se développa de façon conséquente. En effet, le réseau national passa de 29 400 km en 1883 à 40 783 km en 1913 et les lignes d’intérêt local passèrent de 2 687 km en 1883 à 9 917 km en 1913. En cumulant les deux, près de 50 000 km de voie étaient disponibles pour le transport de marchandises et de voyageurs.
Toujours pendant cette période le Produit Intérieur Brut (PIB) connut une croissance moyenne de 1,63 % (à signaler la véritable explosion économique dans les années 1906 à 1913).
En examinant l’évolution du trafic de 1882 à 1913, il fut en progression annuelle moyenne de 2,8 % pour le transport des marchandises et de 3,5 % pour le transport de voyageurs. « En multipliant l’offre des transports, les compagnies de chemin de fer ont largement contribué à rendre les facteurs de production plus mobiles et les modèles de consommation plus diversifiés. »
En outre « la part du trafic routier dans le trafic total des marchandises s’est effondré, de 18 à 10 %, au profit des voies navigables qui sont passées de 15 à 18 % et du chemin de fer, passé de 67 % à 72 %. »
Autre constat, à la veille de la Première Guerre mondiale le rail assurait 96 % du trafic voyageur national.
Pendant la Première Guerre mondiale.
Les compagnies furent réquisitionnées pour le transport des troupes et du matériel et passèrent sous l’autorité militaire dès le 31 août 1914. C’était l’autorité militaire qui dirigeait et imposait décisions et discipline. « Les règles de la discipline cheminote, devenue discipline militaire ont été appliquées dans toute leur rigueur. »
Le chemin de fer devait assurer à la fois les transports militaires mais aussi tous les transports civils indispensables, eux aussi, à l’effort de guerre. « Durant les années de guerre, la circulation des trains sur l’ensemble du réseau a dépassé de 50 % celle du temps de paix, alors que le trafic commercial était fortement réduit. »
Les réseaux Nord et Est furent particulièrement sollicités. Mais les autres réseaux se devaient de contribuer à l’effort de guerre comme pour le ravitaillement ou l’arrivée des renforts venant de l’étranger (arrivée de près de deux millions de soldats américains par exemple). Dans l’autre sens il fallait aussi rapatrier plus de trois millions de blessés. Cela représentait plusieurs dizaines de trains sanitaires par jour. Il fallait également acheminer les permissionnaires qui dès 1915, date de l’instauration de la permission, mobilisèrent de nombreux convois.
Pour faire face à cette demande considérable, les transports commerciaux étaient soigneusement réglementés et le trafic voyageur civil connaissait des mesures restrictives draconiennes. La pénurie de matériel ferroviaire se fit cruellement sentir. Des commandes exceptionnelles furent passées y compris à l’étranger, Grande Bretagne et Etats Unis notamment.
Pendant quatre ans le transport ferroviaire contribua grandement au déplacement massif de personnes et de biens. Les cheminots et le matériel furent mis à contribution d’une façon extrême. Mais aussi les compagnies connurent un désastre financier abyssal. « L’analyse globale des comptes de la guerre montre que la cause principale, sinon unique, de cette situation désastreuse a été le refus de l’Etat d’adapter les recettes aux dépenses, c’est-à-dire les tarifs, aussi bien militaires que commerciaux, à l’évolution des prix, car les compagnies ne pouvaient augmenter les tarifs sans son accord. »
Après la Première Guerre mondiale.
L’Armistice du 11 novembre 1918 n’a pas ralenti le trafic ferroviaire, au contraire car la démobilisation s’est poursuivi de façon intense, jusqu’à la cessation officielle des hostilités, le 24 octobre 1919.
Ce fut seulement par décret du 2 février 1919 que les réseaux furent rendus à leurs administrations et échappèrent à la gestion militaire. Le bilan fut lourd. 52 % du réseau Nord et 19 % du réseau Est étaient hors service. Il fallut prendre des mesures provisoires pour faire fonctionner ces deux réseaux. De plus, les installations et le matériel étaient usés. Il fallait également faire face à une pénurie de charbon et à une insuffisance criante de personnel, en particulier de personnel qualifié, comme les conducteurs au service traction. La formation de ces personnels était longue et difficile. Le moral des cheminots était au plus bas et de nombreux sujets de mécontentement inhérents à la situation de guerre étaient latents.
La situation des cheminots.
La période de conflits a entraîné une dégradation des conditions de travail en particulier pour les réseaux Nord, Est et pour la grande ceinture parisienne.
A titre d’exemple l’amplitude moyenne du travail journalier passa de 12h50 à 15h et celle du travail effectif de 9h30 à 12h. A cela s’ajouta une hausse du coût de la vie non compensée par une progression salariale. Le montant des primes baissa en conséquence de la réduction du trafic voyageur.
Pour tenter de compenser ces baisses le 10 novembre 1916 « fut signée entre le gouvernement et les réseaux la convention créant l’allocation de cherté de la vie. »
Cette convention fut d’ailleurs modifiée quatre fois pour tenter de limiter la perte du pouvoir d’achat. Mais les basses catégories forts nombreuses dans la profession n’y trouvèrent pas leur compte. La pénurie de personnel qualifié se fit largement sentir au service de la traction.
Autre phénomène constaté « dans les chemins de fer comme dans les usines de guerre de nombreuses femmes occupant des emplois pénibles : piochage et désherbage des voies, nettoyages des locomotives et des boîtes à fumer, garde-frein, etc. »
La main d’œuvre féminine atteignit jusqu’à 4 000 employées au PLM en avril 1916. Ce qui posa des problèmes dans une profession très masculine.
L’ensemble de ces difficultés matérielles furent des germes qui contribuèrent au développement de l’action.
Création de la fédération CGT des cheminots en 1917.
« Le journal l’Humanité du dimanche 14 janvier 1917 fait état d’une réunion des dirigeants de cinq groupements de cheminots au siège de l’un d’eux, 36, rue Ancelot à Paris ; les dirigeants de la Fédération des mécaniciens et chauffeurs, d’une association professionnelle des agents de trains et de deux associations générales du personnel de l’Etat et du PLM se sont joint à Bidegaray, Secrétaire général du syndicat national. »
Au cours de cette rencontre la décision d’organiser un congrès de fusion fut prise. Les 27 et 28 janvier se retrouvèrent 200 délégués au siège de la CGT. Le ministre de tutelle ayant refusé une plus large représentation. « Le regroupement crée ainsi une force de 65 000 syndiqués qui adhèrent en bloc à la CGT ; dépassant alors la Fédération des métaux, la jeune organisation des cheminots entre pour un tiers environ dans les timbres commandés par les Fédérations, à la CGT en 1917. »
De plus, l’ensemble des syndicats décidèrent de payer la double cotisation Union Départementale – Fédération. Originalité de cette nouvelle Fédération CGT, les syndicats se regroupaient sur la base des compagnies en unions des réseaux. Chacune des unions était représentée à la direction de la Fédération. Autre originalité de cette Fédération, outre son organisation se calquant sur les réseaux des compagnies, une forte représentation par métiers.
La tribune des cheminots.
Ce journal sera l’organe officiel de la Fédération CGT des cheminots. Son appellation exacte étant La Tribune des Cheminots organe de la Fédération Nationale des Travailleurs des Chemins de Fer. Elle était éditée en direction des syndiqués et comportait quatre pages. Elle paraissait pendant la durée des hostilités le 26 de chaque mois.
Dans le premier numéro de la TC paru en mars 1917 Léon Jouhaux, Secrétaire général de la CGT, signa l’éditorial intitulé « L’unité crée la conscience et la force » indiquant notamment :
« C’est soucieux des intérêts corporatifs qu’elle représente comme des intérêts généraux qu’elle aura à défendre, que la Fédération des cheminots prendra sa place de combat et de réalisation à côté des autres organisations ouvrières, ses sœurs. Ce sont les intérêts de la nation que toutes ensembles pour l’égide de la Confédération Générale du Travail, elles imposeront et sauront faire respecter. Après cette guerre des peuples, ce devra être la paix des peuples, entraînant l’avènement de la démocratie ouvrière à la direction de la production et au contrôle des rapports politiques internationaux, pour éviter les guerres futures. Ce but, l’unité ouvrière nous le fera atteindre. Les cheminots viennent de nous en donner le gage. »Puis un article s’adressant « A ceux qui regardent » signé par Degrange : « L’heure sonne où toutes les bonnes volontés doivent se liguer, où tous ceux qui sont épris de justice doivent se dresser contre les abus et les privilèges parfois scandaleux qui font partie de la politique des dirigeants des chemins de fer. L’heure sonne, où chacun d’entre nous doit apporter sa pierre à l’édifice dont nous avons jeté la base en scellant l’union des cheminots par la fusion de toutes les organisations… Ce que nous voulons c’est mettre debout une organisation puissante. »
Avec en conclusion : « Rester indifférent, c’est livrer l’avenir… cet avenir que nous voudrions tant faire meilleur à nos enfants et à ceux de nos frères qui luttent et donnent leur vie pour la défense de la civilisation. »
Le dernier article de la première page fut un appel à l’adhésion de Pierre Hamp : « Pour vous sauver de la Misère, pour assurer votre dignité, pour tenir éminent votre rang de travailleur et animer de votre force les forces qui, en ce temps, transforment le monde. Camarades cheminots tous aux syndicats. »
D’autres articles donnaient des informations sur l’activité syndicale dans les différents réseaux. Enfin, la dernière page donnait un compte rendu du congrès de « fusion », les statuts et comportait un bulletin d’adhésion.
La Fédération CGT des cheminots s’était donné un outil de « propagande » en direction de ses adhérents.
L’année 1919.
Une fois la paix revenue, les cheminots, comme les autres travailleurs, avaient espéré une amélioration de leur situation.
Alors que tout était à reconstruire lors du 2ème congrès fédéral de mai 1919, Gaston Monmousseau s’exprima ainsi : « Qui paiera ? Le peuple allemand ? Non. Le prolétariat tout court, quelles que soient ses frontières, quelle que soit sa position pourvu qu’il produise. Comme il a payé de sa chair et de son esprit, il paiera de son argent, de son travail. »
« Cette année là les effectifs syndicaux ont progressé fortement pour atteindre 1 200 000 adhérents. Avec des bastions importants comme :
- Les cheminots 250 000 adhérents
- Les métallurgistes 234 000 adhérents
- Le textile 170 000 adhérents
- Le bâtiment 146 000 adhérents
- Les mineurs 120 000 adhérents. »
Les statistiques officielles ont recensé 2 206 grèves entraînant 1 150 718 salariés à cesser le travail pour la seule année 1919. Le gouvernement Clémenceau, conscient de l’ampleur du mécontentement fait voter une série de loi sur les conventions collectives, sur la diminution de la journée de travail à 8 heures et sur l’enseignement professionnel. Il tente de désamorcer la montée des luttes avec ces mesures et en manœuvrant pour utiliser les dissensions internes du mouvement ouvrier. En effet, depuis la révolution russe de 1917, un vaste élan de solidarité est apparu dans le mouvement socialiste. Dans de nombreuses luttes la fin de l’intervention armée contre la Russie est exigée. Cette sympathie pour la révolution communiste russe préoccupait au plus haut point les dirigeants politiques et gouvernementaux ainsi que le patronat.
A l’intérieur de la CGT, une opposition existait entre les majoritaires partisans d’une stratégie de la présence, de la négociation et de la réforme et les minoritaires partisans d’une rupture nette avec le capitalisme, prônant la lutte des classes et soutenant la révolution russe.
Jusqu’à la création de la CGTU en 1922 le terme de majoritaires sera utilisé, quelque soit l’évolution du rapport syndical, pour désigner les réformistes. Les minoritaires seront aussi appelé révolutionnaires.
Ensuite deux autres termes seront employés. Les majoritaires réformistes deviendront les confédérés et les minoritaires révolutionnaires seront appelés les unitaires.
De 1920 à 1939.
Dans l’affrontement entre minoritaires et majoritaires à l’intérieur de la Fédération CGT des cheminots l’année 1920 sera déterminante.
1920 fut le théâtre d’affrontement entre la CGT, en particulier chez les cheminots, et les directions des compagnies largement soutenues par le gouvernement et le patronat. La grève de mai 1920, par son déroulement, par sa gestion au sein de la CGT, par sa répression aura pour conséquence entre autre, une scission de la CGT.
Les majoritaires restant au sein de la CGT et les minoritaires après plusieurs tentatives d’unification seront contraints de créer la CGTU quelques mois plus tard. « L’année 1920 qui s’amorce dans l’effervescence, connaît l’une des plus importantes grèves de notre histoire sociale, celle des cheminots, qui va perturber la cohésion du mouvement syndical. »
Cette même année la Section France de l’Internationale Ouvrière (SFIO) a tenu son congrès à Tours du 25 au 31 décembre. Une large majorité (3 208 votants sur 4 763) décida d’adhérer à la III ème internationale (l’internationale communiste) créant ainsi la Section Française Internationale Communiste (SFIC). Mais la minorité voulut maintenir la SFIO.
Cette scission politique ne sera pas sans conséquences pour le mouvement syndical. Pendant une quinzaine d’années, aussi bien sur le terrain politique que syndical, les organisations issues du même parti ou de la même centrale syndicale vont se déchirer.
Il faudra attendre les années 1935-1936 pour que la CGT se réunifie et que les partis de gauche se rapprochent. Mais après la période du front populaire les tensions réapparaîtront dans le mouvement syndical entre ex-unitaires (CGTU) et ex-confédérés (CGT). Les doutes, les oppositions, les divergences vont se cristalliser autour de la signature du pacte Germano-Soviétique du 23 août 1939.
« Edouard Daladier, président du Conseil, décrète le 26 septembre 1939, la dissolution du Parti Communiste Français, Section Française de l’Internationale Communiste et des organisations s’y rattachant. Quelles sont ces organisations se rattachant au Parti Communiste ? Toutes celles qui, à quelque échelon qu’elles agissent, de la localité, de l’entreprise ou au niveau national, refusent de condamner le pacte Germano-Soviétique. Ainsi 620 syndicats de la CGT parmi lesquels la moitié des syndicats de la Fédération nationale des cheminots reçoivent dès ce jour la visite d’un commissaire de police porteur de la notification de leur dissolution ; celui des cheminots de Pantin, par exemple, dissous le 20 novembre et reconstitué le 23, juste le temps nécessaire pour trouver un Secrétaire général et un trésorier « dans la ligne ». »
Ainsi les militants ex-unitaires furent contraints de rentrer dans la clandestinité.
Comment au travers de la Tribune des cheminots entre 1920 et 1939 peut-on mesurer l’évolution économique, syndicale, sociale, revendicative et politique qui traverse la profession ?